• La découverte du pilier des nautes dans le chœur de la cathédrale

    Laura Foulquier

    Dessin des fouilles faites en 1711 dans le choeur de Notre-Dame (doc M. Martial)

    Un lavis à l’encre brune conservé à la Bibliothèque nationale de France montre les entrailles de la cathédrale au début du XVIIIe siècle : il s’agit des excavations réalisées en 1710 dans le chœur de l’édifice pour la construction d’un caveau (voir figure). On devine des blocs imposants qui prennent une dimension quasi théâtrale en se détachant clairement des murs étayés, restés dans la pénombre. Bernard de Montfaucon rapporte la découverte en ces termes dans L’Antiquité expliquée et représentée en figures (1722) : « C’est une des plus belles découvertes, touchant à la religion des Gaulois, qu’on ait fait il y a longtemps : ils furent trouvés en 1711, au mois de Mars, lorsqu’on creusa pour faire un caveau destiné à la sépulture des Archevêques ». Il atteste de l’émotion que suscita la découverte de ces « quatre grandes pierres qui furent trouvées bien avant dans la terre, et qui ont des bas-reliefs des quatre côtés ; quoique dans quelques-unes les sculptures aient souffert de l’injure du temps » (tome II, p. 423). Cet ensemble, aujourd’hui conservé au Musée de Cluny, à Paris, c’est le Pilier des Nautes. Longtemps présenté comme un groupe d’autels, il s’agit en réalité d’une colonne monumentale érigée en l’honneur de Jupiter par les bateliers de Lutèce, au Ier siècle, sous le règne de l’empereur Tibère.

    Ces blocs avaient été remployés pour l’édification d’un bâtiment durant le Bas-Empire sur l’emprise duquel les parties orientales de la cathédrale se sont en partie surimposées. Cet ensemble sculpté nous rappelle que l’édifice doit se lire sur le temps long. Et ces matériaux de récupération, longtemps boudés par l’historiographie qui les tenait pour des objets de peu, permettent de saisir dans sa matérialité l’épaisseur du temps.

     

    Orientations bibliographiques

    Philippe de Carbonnières, Lutèce. Paris, ville romaine, Paris, Gallimard, 1997.

    Paul-Marie Duval, Paris antique, des origines au IIIe siècle, Paris, Hermann, 1961.

     

    Mise en ligne le 29 avril 2019

  • L’incendie de 1218 à Notre-Dame

     

    Olivier de Châlus

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    Avant le 15 avril 2019, l’historiographie de la cathédrale n’avait retenu que deux incendies d’importance. L’incendie de 1871 par les communards, qui s’avère être une construction de propagande sans fondement, et l’incendie de 1218. La nuit précédant la fête d’Assomption de cette année-là, un voleur s’introduisit dans les combles de la cathédrale pour dérober, à l’aide de cordes et de crochets, les chandeliers préparés pour l’occasion. Par la maladresse de sa périlleuse entreprise il enflamma les tentures de soie qui tapissaient le chœur, et c’est pour ces conséquences que cet événement a été consigné dans les chroniques médiévales.

    Cet incendie est capital pour l’historiographie de la cathédrale, car Viollet-le-Duc y a vu la cause de ravages qui auraient entraîné des dégradations irrémédiables sur la cathédrale de Maurice de Sully. Pour cette raison, la cathédrale aurait été très lourdement restaurée à partir des années 1220.

    Tous les chercheurs qui se sont par la suite penchés sur cette question, à commencer par Marcel Aubert, ont minimisé l’ampleur évoquée par Viollet-le-Duc pour cet événement, considérant qu’un tel incendie aurait laissé des traces indélébiles que nous aurions identifiées. Ils ont alors tous cherché à expliquer d’une autre manière ce que nous pourrions qualifier de première des trois grandes réfections de la cathédrale, les deux autres étant celle de Viollet-le-Duc et celle qui s’annonce aujourd’hui.

    L’incendie récent nous permettra d’en connaitre davantage sur les conséquences potentielles d’un incendie d’ampleur en 1218 et rouvrira peut-être le débat, avec de nouvelles observations du bâti. Une autre question se pose : si, comme l’a retenu l’historiographie, les voûtes du chœur étaient effectivement en place en 1182 pour la consécration du chœur, comment cet homme aurait-il pu, trente-six ans plus tard, espérer dérober des chandeliers depuis la charpente… Cet incendie nous apprend très certainement également que les voûtes du chœur de Notre-Dame de Paris sont postérieures à 1218.

     

    Éléments bibliographiques :

    Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française, tome II, article cathédrale, 1859

    Marcel Aubert, Notre-Dame de Paris, sa place dans l’architecture du XIIe au XIVe siècle, 1920

    Olivier de Châlus, Thèse de doctorat, en préparation sous la direction de Philippe Bernardi

     

    Fiches thématiques

     

    Mise en ligne le 29 avril 2019

  • La couronne d’épines, la plus précieuse des reliques de Notre-Dame de Paris

    Valérie Toureille

    La couronne d'épines

    La possession de reliques est, au Moyen Âge, un élément déterminant du prestige d’un établissement religieux. Plus la relique est précieuse, plus elle rejaillit d’éclat sur son détenteur. Et quoi de plus prestigieux que la couronne d’épines dont le Christ fut affublé par des soldats romains le jour de la Passion !

    Dans le contexte du Concile de Nicée, les instruments de la Passion auraient été redécouverts par Hélène, mère de l’empereur Constantin. Entre le VIIe et le Xe siècles, ces reliques furent transférées de Jérusalem à Constantinople, pour les mettre à l’abri des pillages menés par les Perses.

    En 1204, les croisés latins ont pris Constantinople, mais, entourés de voisins hostiles, leur position s’avère incertaine. En 1237, Baudouin, empereur latin de Constantinople, qui manque de ressources, propose au roi Louis IX (futur saint Louis) et à sa mère, Blanche de Castille, d’acheter la Sainte couronne d’épines. Louis IX envoie des émissaires à Constantinople, mais, entre temps, étranglés par leurs créanciers, les barons latins ont vendu la relique aux Vénitiens. La couronne voyage de Constantinople à Venise, échappant aux galères des Grecs, et c’est dans la cité des Doges que Louis IX fait procéder à la transaction pour un montant particulièrement élevé.


    La relique, protégée dans une châsse, arrive dans le royaume de France en août 1239. Le roi, sa mère, son frère Robert d’Artois, l’archevêque de Sens et les grands prélats du royaume se portent au devant du convoi, qu’ils accueillent à Villeneuve-l’Archevêque. Là, le roi et son frère revêtent la tunique du pénitent et pieds nus accompagnent la châsse jusqu’à Sens, puis de là jusqu’à Paris. Pour donner à cette relique inestimable un écrin exceptionnel, Louis IX fait construire la Sainte-Chapelle. Il y préleva de nombreuses épines pour en faire don aux grands établissements religieux de la chrétienté. Sous la révolution la Sainte couronne est transférée à l’abbaye de Saint-Denis, puis à la Bibliothèque nationale. À la suite du Concordat, elle est confiée à l’archevêque de Paris en 1806 et placée sous la garde formelle des chevaliers du Saint-Sépulcre.


    Référence :

    Jacques Le Goff, Saint Louis, Gallimard, Paris, 1999.

     

    Mise en ligne le 23 avril 2019

  • Le plus ancien plan connu de Notre-Dame de Paris

    Yves Gallet

    Détail du plus ancien plan de Notre-Dame de Paris

    Le plus ancien plan connu de la cathédrale Notre-Dame de Paris remonte au XIVe siècle et se trouve à… Strasbourg ! C’est un plan du chevet de Notre-Dame, tracé à l’encre brune, sur parchemin. Il mesure dans ses plus grandes dimensions 63,5 x 53,5 cm. Au verso est dessiné le plan du chevet d’une autre grande cathédrale gothique, la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans. Ce double plan est aujourd’hui conservé au Musée de l’Œuvre Notre-Dame, au sein d’une prestigieuse collection de dessins d’architecture, sous le n° 21.

    La cathédrale d’Orléans a été entreprise en 1287. Le chevet de Notre-Dame a été pourvu de chapelles, sur tout son pourtour, à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle : de 1255-1265 à 1288 pour les chapelles des travées droites, de 1296 à 1318-1320 pour les chapelles rayonnantes, à l’époque où Pierre de Chelles est maître des œuvres de Notre-Dame. Le double plan conservé à Strasbourg, qui figure ces chapelles, a donc dû être tracé aux alentours de 1320. Peut-être était-il déjà à Strasbourg avant 1322, car à cette date, les chantiers de la vallée du Rhin, comme la collégiale d’Oppenheim, commencent à s’inspirer des formes parisiennes telles qu’elles figurent sur le dessin de Strasbourg, dont on imagine fort bien qu’il ait pu être consulté dans la loge de la cathédrale alsacienne.

    La présence à Strasbourg du plan du chevet de Notre-Dame s’explique facilement. Autour des années 1320, pour rivaliser avec la cathédrale de Cologne où la construction du chevet gothique était en passe de se terminer (1248-1322), les chanoines du chapitre de Strasbourg ont dû envisager la reconstruction du chevet de leur cathédrale, et ont commencé à réunir, à cet effet, une documentation relative aux grands chantiers gothiques de la fin du XIIIe siècle : le plan de Notre-Dame de Paris doit en être un vestige. Il forme la preuve que les parties de la cathédrale parisienne construites à l’époque du gothique rayonnant, aujourd’hui souvent considérées comme de simples additions à la structure du premier art gothique, ont suscité admiration et intérêt à une très large échelle, jusque sur les meilleurs chantiers européens du XIVe siècle.

     

    Orientation bibliographique :

    Yves Gallet, « Le dessin 21 de l’Œuvre Notre-Dame : un projet de chevet pour la cathédrale de Strasbourg ? », Bulletin de la cathédrale de Strasbourg, vol. XXIX, 2010, p. 115-146
    Johann Josef Böker, Anne-Christine Brehm, Julian Hanschke et Jean-Sébastien Sauvé, Architektur der Gotik, III : Rheinlande, Salzbourg, Müry-Salzmann, 2013, p. 249-252.

     

    Fiches thématiques

     

    Mise en ligne le 22 avril 2019

  • Dans quel état était Notre-Dame à la fin du Moyen Âge ?

    Etienne Hamon

    Cliquez pour afficher la transcription

    1526, 16 septembre – Paris

     

    Extrait du rapport rendu à Christophe Hennequin, conseiller du roi au Parlement, dans le cadre d’une procédure opposant le chapitre de Notre-Dame à François Poncher, évêque de Paris, à propos des travaux de maçonnerie et charpenterie à effectuer à la cathédrale, rapport dressé à la suite d’une visite effectuée les 20, 21 et 31 août par quatre bourgeois, trois maçons et quatre charpentiers jurés du roi, ainsi que quatre maçons bacheliers de Paris.

    Archives nationales, L 466, n°30-32, [fol. 3v-4r] (ancien L 515, n°67 et, au XVIIIe siècle, 15e liasse des privilèges, coté 526). Cahier papier non folioté. Copie du XVIe siècle d’un original qui portait les signatures des experts. Partiellement édité dans Ernest Coyecque, « Notre-Dame de Paris (1395-1526) », Nouvelles archives de l’art français, 1887, p. 90-94.

     

    Transcription du texte original :

    (...)

    Du mardi 21e jour du moy d’aoust oudit an 1526

    En ensuivant votre dite ordonnance, sommes en votre presence transportez en la dite eglise ou illec, en continuant notre rapport des dites reparations, avons trouvé ce qui s’ensuict :

    Et premierement est necessité de rejoinctoyer partie des joinctz des dalles de pierre de taille qui sont au pourtour et au dessoubz de l’esgout de la couverture de plomb, au dessus de la grosse tour du costé du dit hostel episcopal, et rejoinctoyer aussy partie des joinctz des cleres voyes de dessus de la dite tour, avec les joinctz des talutz au pourtour et au dessoubz des dites cleres voyes de la dite tour, pour ce que partie des dits joinctz est mynee en telle maniere que les eaues passent parmy les dits joinctz et pourissent les murs, lesquelz joinctz pe[u]vent avoir esté et estre mynez et gastez depuis dix ans ença // ou environ.

    Item est necessité de faire des cleres voyes en forme de garde fol a la gallerie entre les dites deux tours au pan du costé de la nef ainsy que autreffoys a esté, comme appert a veüe d’œil, pour ce que de present n’en y a poinct et n’y a que des apuyes de boys seullement qui sont pourries et de nulle valleur, lesquelles cleres voyes pe[u]vent estre cheüttes et tumbees passé a quarante ans ou plus.

    Item est necessité de reffaire la plus grand partie des cleres voyes a costé des dalles des allees de la dite grosse tour du pan du costé de la nef, pour ce que la plus grande partie des dites cleres voyes est cheütte et tumbee, ce qui peut estre intervenu depuis le dit temps de quarante ans ou environ.

    Item est necessité de reffaire partie (...) //

     

    Transcription en français moderne :

    (...)

    Le mardi 21e jour du mois d’août 1526, en exécution de votre ordonnance, nous nous sommes, en votre présence, transportés en la dite église où nous avons poursuivi notre rapport sur les réparations à effectuer, et avons établi ce qui suit :

    Et premièrement, il est nécessaire de rejointoyer une partie des joints des dalles de pierre de taille qui sont au pourtour de l’égout de la couverture de plomb de la grosse tour du côté de l’hôtel épiscopal ; de refaire également une partie des joints des garde-corps ajourés au sommet de la dite tour ; de rejointoyer les glacis au pourtour et au-dessous des dits garde-corps. Tous ces joints sont en effet dégradés au point que les eaux s’infiltrent dans les murs et les pourrissent, et ce depuis dix ans ou environ.

    Ensuite, il est nécessaire de refaire les garde-corps ajourés de la galerie qui relie les deux tours, du côté de la nef, selon le modèle qui est encore visible en place, pour remplacer les éléments disparus auxquels on a substitué des garde-corps en bois qui sont aujourd’hui pourris. Ces garde-corps en pierre sont tombés depuis quarante ans au moins.

    Ensuite, il est nécessaire de refaire la plus grand partie des garde-corps ajourés bordant les chéneaux attenant à la grosse tour, du côté de la nef, du fait de la chute de la plupart de ces garde-corps qui doit être intervenue il y a quarante ans également ou environ.

    Ensuite, il est nécessaire de refaire une partie (...) //

     

    Commentaire et apport du texte :

     

    À l’aube de la Renaissance, l’entretien de la cathédrale n’était plus assuré avec autant de régularité qu’auparavant, conséquence du désintérêt croissant pour un édifice qui n’avait plus été modernisé depuis le XIVe siècle et des désaccords entre chapitre évêque à propos du financement des travaux de plus en plus coûteux. Le conflit s’envenima au début du XVIe siècle avec la mise en évidence, par les hommes de l’art, de l’ampleur des dépenses à engager. Réunies à plusieurs reprises au cours de l’année 1526, des commissions d’experts rendent ainsi des rapports alarmants (voir figure). Le beffroi de la tour nord est jugé mal conçu et irréparable. Sur toutes les façades, les claires-voies et gargouilles menacent ruine. Certains garde-corps déjà tombés ont été remplacés par des barrières de bois qui se désagrègent à leur tour. Des dais sculptés au nord de la nef ont été démontés par précaution. Il faut refaire la pointe de la plupart des gables (« guymberges ») des chapelles ajoutées à l’époque rayonnante autour du chevet. La rose (« osteau ») sud, déjà étayée depuis des années, doit être entièrement déposée et reconstruite, ainsi que le pignon qui la surmonte. Un rejointoiement général des chéneaux, terrasses des tribunes, des collatéraux et des chapelles est préconisé. Les ogives et voûtains de plusieurs voûtes basses, minées par les infiltrations, sont à refaire, et il faut aussi déboucher les orifices d’évacuation de secours pratiqués dans leurs reins. Mais c’est la voûte de la croisée qui inspire les plus grandes craintes, ses nervures et doubleaux étant dangereusement affaissés. Plusieurs pièces de la charpente sont à changer, dont un chevron à la croupe ainsi qu’une des enrayures de la flèche centrale et deux des contrefiches qui la soutiennent sous les noues des charpentes adjacentes. Ces rapports constituent aussi les derniers témoignages directs de la présence de certaines statues ornant les chapelles et, a contrario, de l’absence de gables à l’extérieur des chapelles de la nef, réinventés plus tard par Viollet le Duc. Malgré le constat inquiétant dressé alors, l’attentisme l’emporta, rendant inévitable la dépose aux XVIIe et XVIIIe siècles d’une grande partie des éléments ajourés et sculptés qui faisaient la parure de la cathédrale. La rose sud dut être largement reprise par Germain Boffrand en 1728, avant que Viollet le Duc n’en change plus radicalement la disposition.


    Bibliographie :
    Ernest Coyecque, « Notre-Dame de Paris (1395-1526) », Nouvelles archives de l’art français, 1887, p. 90-94. Editions partielles de documents des Archives nationales.

     

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    Mise en ligne le 27 avril 2019

    Dernière modification le 12 mai 2020

  • Un projet de transformation de la voûte de la croisée de Notre-Dame au début du XVIe siècle

    Etienne Hamon

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    Les voûtes lancées aux XIIe et XIIIe siècles, parfaitement équilibrées et abritées des intempéries, n’ont pas connu de modification significative avant le XIXe siècle. Toutefois, dans les années 1500, les maîtres des œuvres de la cathédrale attirèrent l’attention du chapitre sur l’état alarmant de la voûte de la croisée du transept. Ils préconisèrent sa reconstruction sur un nouveau plan à liernes et tiercerons qu’ils jugeaient plus adapté à sa grande portée. Mais cela supposait d’échafauder sur une grande hauteur, comme en témoigne un rare projet dessiné dont l’auteur pourrait être Jean Guitart, charpentier de la cathédrale. Effrayé par les dépenses qu’entrainerait une telle opération, le chapitre commanda une contre-expertise et, passant outre l’avis de son maître des œuvres de maçonnerie, l’architecte Jean Moireau, il opta pour une réparation à l’économie. En 1526 et encore en 1567, l’état de la voûte était donc toujours aussi préoccupant. De rejointoiements en replâtrages, cette voûte resta en place jusqu’à ce que Viollet le Duc la dépose et la reconstruise sur un plan quadripartite.


    Références :
    Fonds des archives anciennes de Notre-Dame aux Archives nationales, série L : délibérations capitulaires, procès-verbaux de visite et dessin des cintres.
    Étienne HAMON, Une capitale flamboyante : la création monumentale à Paris autour de 1500, Paris, Picard, 2011.
    Notre-Dame de Paris (coll. La grâce d’une cathédrale), Strasbourg-Paris, La Nuée bleue – Place des Victoires, 2012.

     

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    Mise en ligne le 22 avril 2019

  • L’apport des images médiévales de Notre-Dame à sa restauration

    Raphaële Skupien

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    Notre-Dame de Paris est l’un des monuments emblématiques de la capitale les plus fréquemment représentés depuis la fin du Moyen Âge. Toutes ses parties ont été admirées. En témoigne la grande diversité de points de vue portés sur le monument dans les images. Les parties hautes de la cathédrale, abîmées dans l’incendie du 15 avril dernier, sont particulièrement mises en valeur dans les vues de la ville qui permettent d’en apprécier la toiture d’ardoises sommée d'une haute flèche à la base architecturée. De nombreuses ouvertures semblaient alors garantir l'aération des combles tandis que deux épis figurés amortissaient la flèche et la croupe du chevet.

    La façade occidentale a davantage retenu l’attention des artistes. Ceux qui en ont donné les vues les plus fidèles ont nettement distingué la flèche de Notre-Dame, visible entre les deux tours asymétriques, de celle de la Sainte-Chapelle.
    En privilégiant la représentation du chevet de la cathédrale à celle du frontispice, deux peintres ont exprimé une connaissance plus complète et plus approfondie du monument que la plupart de leurs homologues. Leurs images renseignent très précisément sur la jonction entre la couverture et la maçonnerie. De manière tout à fait exceptionnelle l'une d'elles figure une scène de chantier… un véritable modus operandi pour nos architectes puisque l’on y voit les techniques de construction du XVe siècle appliquées à la réfection de la couverture du chevet de Notre-Dame !
    Le degré de détail de ces dessins facilite leur transposition en image numérique 3D (via le logiciel Sketch'up, par exemple) à partir de laquelle on peut produire une maquette imprimée en vue d'une éventuelle reconstruction. Cette méthode de restitution novatrice a été utilisée pour l’îlot de Sainte-Croix-en-la-Cité dont la maquette sera présentée à l'automne prochain aux Archives nationales. Si les images médiévales nécessitent d’être analysées avec prudence, à la lumière du contexte de production et des données archéologiques et techniques, elles apportent des informations irremplaçables concernant la forme voire l’évolution des formes de la cathédrale parisienne au XVe siècle.

     

    Éléments de bibliographie / webographie :
    Raphaële SKUPIEN, « La cathédrale transfigurée : II. Notre-Dame de Paris dans les images de la fin du Moyen Âge (XIVe-XVIe siècle) », Livraisons d’Histoire de l’Architecture, 38|2019 [à paraître].
    Raphaële SKUPIEN, « Figure de l’îlot de Sainte-Croix-en-la-Cité, ca. 1499 », dans DUMASY J. et SERCHUK C., Quand les artistes dessinaient les cartes. Vues et figures de l'espace français au Moyen Âge et à la Renaissance, cat. expo. (Paris, Archives nationales, hôtel de Soubise, 24 sept. 2019 – 7 janv. 2020), Le Passage, 2019, not. 96 [à paraître].

     

     

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    Mise en ligne le 22 avril 2019

  • Le groupe épiscopal de Paris durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge

    Matthias Dupuis

    Extrait du plan de Paris par Olivier Truschet et Germain Hoyau (v. 1552-1559), l’église Saint-Jean-le-Rond apparaît accolée contre le mur nord de la cathédrale gothique (Ville de Paris / BHVP / Roger-Viollet)

    Figure 1 : Extrait du plan de Paris par Olivier Truschet et Germain Hoyau (v. 1552-1559), l’église Saint-Jean-le-Rond apparaît accolée contre le mur nord de la cathédrale gothique (Ville de Paris / BHVP / Roger-Viollet)

    La construction de Notre-Dame de Paris, amorcée à partir des années 1160, s’inscrit dans le prolongement d’une évolution architecturale et topographique qui remonte à la période antique. En dehors des informations fournies par les témoignages textuels, les origines de la cathédrale sont connues par des découvertes archéologiques anciennes et disparates, réalisées à l’intérieur du monument et aux abords de celui-ci depuis le XVIIIe siècle.
    Il existe, au moins dès le milieu du IVe siècle, une communauté chrétienne à Paris, alors placée sous l’autorité de l’évêque Victurinus. La cathédrale – c’est-à-dire l’église de l’évêque – est mentionnée dans la vie de Saint-Martin au IVe siècle, puis décrite par le poète Venance Fortunat au cours du VIe siècle, qui parle d’un édifice doté d’une "salle resplendissante", qui s’élève "sur des colonnes de marbre et qui capte les premiers rayons du soleil". Clovis avait alors fait de Paris, durant son règne, la capitale du royaume franc et l’église dont parle Fortunat aurait été construite à l’initiative de son fils, le souverain mérovingien Childebert Ier (v. 497-558). Comme dans les autres cités de la Gaule, cette cathédrale n’était pas isolée : elle était accompagnée par d’autres églises, remplissant des fonctions liturgiques particulières, ainsi que par un baptistère et par la domus ecclesiae, la demeure de l’évêque. L’ensemble composait ce que l’on nomme un groupe épiscopal. Au moins deux églises sont attestées par les textes : l’église Saint-Etienne, mentionnée en 691, et l’église Notre-Dame, qui apparaît dans un diplôme de Charlemagne en 775. Le baptistère, mentionné au Ve siècle, est décrit dans un texte du VIe siècle : il est traditionnellement assimilé à l’église Saint-Jean-le-Rond, qui s’y serait substitué au début du XIIIe siècle. L’église Saint-Jean-le-Rond, installée contre le mur nord de la cathédrale gothique, apparaît sur les plans anciens de la ville ; elle fut démolie en 1748.

    Les églises de l’ancien groupe épiscopal de Paris, d’après la publication de Jean Hubert

    Figure 2 : Les églises de l’ancien groupe épiscopal de Paris, d’après la publication de Jean Hubert

    Les fouilles archéologiques conduites à l’intérieur de la cathédrale et aux abords de celle-ci ont permis de révéler les vestiges de différents édifices qui ont précédé le chantier gothique. Dès 1711, Dom Michel Félibien, relate la découverte – lors du creusement d’un caveau destiné à la sépulture des archevêques – de deux murs accolés orientés Nord-Sud localisés dans la seconde travée du chœur et dans l’un desquels étaient remployés les blocs sculptés du Pilier des Nautes, aujourd’hui conservé au musée de Cluny. Ce caveau fut ensuite entièrement reconstruit par Viollet-le-Duc en 1858, ce qui permis de découvrir, à l’est des murs dégagés en 1711, une abside semi-circulaire d’environ 6 m de diamètre. Parallèlement, les fouilles entreprises sur le parvis de la cathédrale par Théodore Vacquer dès 1845, complétées par celles de Michel Fleury dans les années 1960-1970 permirent de mettre au jour les substructures d’une très vaste église à plusieurs nefs, large de 25 m et dotée d’un avant-corps occidental. Seule la partie ouest de cet édifice a été dégagée, le reste étant pris sous la façade de la cathédrale gothique.

    Chapiteau provenant de l’ébrasement droit du portail occidental de Saint-Jean-le-Rond. Trouvé lors des fouilles du parvis de Notre-Dame de Paris en 1998-1999, attribué au Musée de Cluny en 2007 (© RMN-GP/cliché Jean-Gilles Berizzi)

    Figure 3 : Chapiteau provenant de l’ébrasement droit du portail occidental de Saint-Jean-le-Rond. Trouvé lors des fouilles du parvis de Notre-Dame de Paris en 1998-1999, attribué au Musée de Cluny en 2007 (© RMN-GP/cliché Jean-Gilles Berizzi)

    La mise en perspective de ces découvertes avec les témoignages des textes reste soumise à la discussion. On a longtemps voulu voir, dans l’édifice dégagé par Théodore Vacquer, les vestiges de l’église Saint-Etienne, longtemps assimilée à la cathédrale mérovingienne. L’archéologue Jean Hubert proposait d’interpréter l’abside découverte par Viollet-le-Duc comme l’extrémité orientale de la seconde église, consacrée à la Vierge et attestée à la fin du VIIIe siècle. L’une et l’autre, alignées sur le même axe, auraient formé un modèle de « cathédrale double » cher à cet auteur. Les données archéologiques ne sont toutefois pas suffisamment précises pour établir la chronologie des deux monuments et une relecture récente des textes et des données archéologiques conduisent à nuancer cette interprétation. Seules de nouvelles recherches archéologiques permettraient, finalement, d’affiner nos connaissances sur le groupe épiscopal du haut Moyen Âge et d’établir précisément la topographie de cet ensemble exceptionnel installé au cœur de l’Île de la Cité.

     

    Bibliographie
    Marcel Aubert, Les anciennes églises épiscopales de Paris, Saint-Étienne et Notre-Dame, au XIe siècle et au début du XIIe, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 83ᵉ année, N. 3 (1939), p. 319-327; https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1939_num_83_3_77195
    Jean Hubert, Les origines de Notre-Dame de Paris, Revue d'histoire de l'Église de France, tome 50, n°147 (1964) p. 5-26 ; https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1964_num_50_147_1726
    Josiane Barbier, Didier Buisson, Véronique Soulay, Avant la cathédrale gothique, Notre-Dame de Paris, éd. A. Vingt-Trois, Strasbourg, 2012 (La grâce d’une cathédrale), p. 17-28.
     

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    Mise en ligne le 2 mai 2019

  • Témoignages des bâtisseurs du Moyen Âge sur la perfection artistique et technique Notre-Dame

    Etienne Hamon

    Tour Nord de la façade occidentale de la cathédrale de Bourges (cl. E. Hamon)

    Les historiens de l’art ont mis en évidence depuis plus d’un siècle, par l’étude attentive des œuvres elles-mêmes, la place exceptionnelle de la cathédrale gothique de Paris comme modèle pour les créations monumentales qui ont vu le jour jusqu’aux confins de l’Europe chrétienne : un modèle d’élévation dès l’achèvement du chœur ; un modèle de couverture en plomb dès l’installation des toitures définitives ; un modèle de programme sculpté à chaque étape de la mise en place des portails ouest ; un modèle de façade ajourée à peine montées les nouvelles parois du transept ; un modèle de chevet avant comme après l’ajout des chapelles rayonnantes, etc.

    Des textes souvent méconnus relatifs à des réalisations aujourd’hui disparues ou qui ne virent jamais le jour nous rappellent que la référence offerte par Notre-Dame, qu’elle soit absolue ou relative, occupait encore les esprits de la plupart des acteurs de la création des principaux centres artistiques français et européens, longtemps après l’époque rayonnante au cours de laquelle les dernières transformations significatives avaient été apportées à l’édifice, et souvent bien après l’époque de conception des éléments imités. La liste de témoignages écrits qui suit, qui ne saurait faire oublier tout ce que Notre-Dame doit elle-même à ses semblables, n’a nulle prétention à l’exhaustivité. Cet échantillon n’en donne pas moins un bon aperçu de la diversité des modèles encore proposés à la fin du Moyen Âge par la cathédrale de Paris.

    Parmi les réalisations susceptibles, en raison de leur achèvement tardif, de susciter l’intérêt figuraient les clôtures de chœur, sculptées au début du XIVe. Elles furent invoquées en exemple, vers 1400, pour celles que l’on projetait à la cathédrale de Reims. Les nouvelles installations liturgiques de grande ampleur étaient également admirées, tel le lutrin en laiton du chœur qui servit de modèle vers 1400 à celui de la cathédrale de Rouen. Dans la primatiale normande, on copia également en 1451 une des cloches de Notre-Dame (la dénommée Jacqueline, qui avait été refondue en 1430) et le beffroi de sa tour sud en 1501. Au début du XVIe siècle, les grandes tentures de chœur de Paris étaient régulièrement invoquées en exemple par les commanditaires de ces ensembles tissés alors très en vogue, comme ses pierres tombales étaient imitées pour être exportées dans tout le bassin parisien et ses orgues admirées jusqu’en Picardie.

    Mais l’architecture des XIIe et XIIIe siècles de Notre-Dame était toujours à l’honneur à l’époque flamboyante. Même les couvertures en terrasses de ses collatéraux étaient encore de nature, en raison de leurs caractéristiques techniques, à fournir des modèles aux programmes les plus divers. Dans les années 1480, le ragréage des maçonneries du château de Saint-Fargeau (Yonne) se fit ainsi à l’aide d’un « ciment » dont la recette s’inspirait de celle employée à Notre-Dame. Mais c’est surtout la façade occidentale qui continuait d’inspirer les bâtisseurs. En 1456 puis de nouveau en 1489, elle fut visitée par des délégations du chapitre de la cathédrale de Troyes, où les acteurs du chantier de la nouvelle façade étaient à la recherche des meilleurs modèles et des meilleurs architectes pour les appliquer. Enfin entre 1524 et 1528, le chapitre de Saint-Étienne de Bourges (cf. photo), une cathédrale souvent invoquée pour sa dette envers Notre-Dame à la fin du xiie siècle, délibéra de terminer la tour nord en cours de reconstruction avec une terrasse, puis de munir celle-ci d’une charpente couverte de plomb, dans les deux cas « ad instar turrium ecclesie Parisiensis » (à la manière des tours de la cathédrale de Paris). Dès 1505, la nef de Notre-Dame s’était offerte en modèle de régularité à Jean Pèlerin, auteur du De artificiali perspectiva, premier traité de perspective illustré à avoir été imprimé en France.

    La connaissance de Notre-Dame, qui se diffusa au gré de la circulation des hommes mais aussi des dessins d’architectes, fut parfois plus critique. Dans les années 1402, les maîtres d’ouvrages du duomo de Milan, qui avaient fait venir de Paris et d’ailleurs des artistes pour les éclairer sur les grandes options structurelles à donner à leur église, finirent par opter pour un vaisseau peu élancé, craignant que l’importance des organes de contrebutement n’assombrisse fâcheusement l’église comme c’était le cas selon eux... à Notre-Dame de Paris.

     

    Références :

    Depuis la première synthèse de Marcel Aubert sur le rayonnement de Notre-Dame jusqu’au XIVe siècle (Notre-Dame de Paris : sa place dans l'histoire de l'architecture du XIIe au XIVe siècle, Paris, 1920), cette thématique a été largement renouvelé. Les mentions ici rassemblées pour les XVe-XVIe siècles sont inédites ou dispersées dans diverses publications.

     

    Fiches thématiques

     

    Mise en ligne le 8 mai 2019

  • Avant la cathédrale gothique. IVe-XIe siècles.

    Josiane Barbier, Didier Busson et Véronique Soulay

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    Les états antérieurs à la cathédrale gothique sont documentés par les découvertes archéologiques faites depuis le XVIIe siècle sous la cathédrale gothique et ses abords et par la documentation écrite. La relecture de ces sources permet d’invalider certaines idées reçues et de proposer de nouvelles hypothèses.

    Le premier évêque de Paris connu par une source fiable, Victurinus, est nommé dans les actes du concile de Paris de mars 360. La cathédrale est attestée dans le dernier quart du IVe siècle (Vie de saint Martin), le baptistère dans la seconde moitié du Ve (Vie de sainte Geneviève). L’aménagement de l’Île de la Cité durant le IVe siècle – plateau de 10 ha, enceinte, réseau viaire, bâtiments publics, grande basilique, thermes publics, peut-être un arsenal – suggère que cette cathédrale était installée dans l’île, sans doute dans le secteur de la cathédrale actuelle. Aucune trace archéologique n’en a été retrouvée, le mur découvert en 1711 sous le chœur de la cathédrale gothique dans lequel est remployé le pilier des Nautes appartenait probablement à un édifice civil.

    Childebert Ier (511-558) reconstruisit ou dota cette cathédrale d’aménagements architecturaux et d’un décor monumental connus par le poète Fortunat. La confrontation de cette description avec les vestiges archéologiques dégagés depuis le XVIIe siècle sous le parvis de la cathédrale actuelle (colonnes de marbre, fragments de mosaïques, fondations d’un édifice de plan basilical) a fait attribuer ces traces à la cathédrale du VIe siècle. Des études récentes montrent que les vestiges utilisés en faveur de cette interprétation sont plus anciens que les fondations (les colonnes de marbre ont été découvertes en dépôt sous le niveau de circulation de l’édifice du parvis, les mosaïques appartenaient au décor des thermes proches des IVe/Ve siècles). On ignore donc l’emplacement de la cathédrale décrite au VIe siècle.

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    Les fondations de l’édifice du parvis (fouilles de Théodore Vacquer en 1847, surveillances de travaux en 1907 et 1914, fouilles de 1965 à 1972 sous la direction de Michel Fleury) ont été établies sur le rempart arasé du IVe siècle. Leur interprétation a été très discutée. On peut y voir un bâtiment à cinq vaisseaux, flanqué de tours et pourvu d’un avant-corps, de 37 m de large sur 74 m de long supposés. La monumentalité de sa partie occidentale étant caractéristique de l’époque carolingienne, on est tenté d’y voir la cathédrale carolingienne. On pourrait situer la construction de cet édifice (peut-être le réaménagement d’un édifice antérieur) au IXe siècle, au moment de l’édification du quartier canonial, dans les années 820.

    Un acte de Louis VI de 1112/1117 délimite un territoire relevant de la seigneurie de l’évêque dans l’Île de la Cité. Il y est question d’une « vieille église » ayant un mur cassé du côté de la Seine et d’une « nouvelle église » ; dans ce texte, « église » signifie « cathédrale ». La reconstitution des limites de cette juridiction amène à identifier l’édifice du parvis avec la « vieille » cathédrale, la « nouvelle » serait plus à l’est, sous la cathédrale gothique. Le portail occidental de cette « nouvelle » cathédrale est mentionné en 1120, en 1124 des sommes d’argent sont affectées à l’entretien de sa couverture, l’abbé de Saint-Denis Suger (mort en 1151) la pourvoit d’une grande verrière. Les éléments de remplois dans le décor du portail Sainte-Anne de la cathédrale gothique, les fragments sculptés trouvés sous le parvis et dans les fondations du quatrième pilier méridional du vaisseau central sont tous attribuables au XIIe siècle. Ils composaient probablement le décor de la façade de cette cathédrale romane.

    Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps (seconde moitié du VIIIe siècle), sainte Marie fut la patronne de la cathédrale ; saint Etienne était le patron d’une basilique voisine, distincte de la cathédrale, attestée de la fin du VIIe siècle au début du XIIe siècle.

     

    Bibliographie

    J. Barbier, D. Busson et V. Soulay, « Avant la cathédrale gothique. IVe-XIIe siècle », in D. Sandron (ed.), Notre-Dame de Paris, coll. La Grâce d’une cathédrale, Strasbourg-Paris, La Nuée Bleue – Place des Victoires, 2012, p. 17-27.

     

    Fiches thématiques

     

    Mise en ligne le 9 mai 2019

  • L'espace urbain de la cathédrale au milieu du XIIe siècle

    Olivier de Châlus

    Plan de Saint-Victor, vers 1550

    La liturgie, l’administration du diocèse, la dispense des sacrements, l’accueil des pèlerins, assurés par l’ancienne église épiscopale, le palais épiscopal, le baptistère et l’Hôtel-Dieu, ne pouvaient être interrompus pendant les travaux de la cathédrale de Maurice de Sully. L’activité de ces édifices a donc dû être perpétuée même si les terrains qu’ils occupaient devaient progressivement être libérés pour permettre le chantier de Notre-Dame de Paris. Comprendre l’environnement urbain l’ayant précédé, c’est donc aussi déterminer les contraintes qui ont structuré son projet de construction et donc mieux en interpréter son déroulé.

    Les sources d’information pour aborder cette question sont bien sûr archéologiques. Les différentes fouilles qui ont été conduites au XIXe siècle et au XXe siècle ont mis au jour une église sous le parvis de 35 mètres de large et de peut-être 70 mètres de long. Derrière cette église de l’ouest, se trouvait sans doute une autre église, plus à l’est, dont les vestiges trouvés sous le chœur de la cathédrale correspondraient à l’abside. Par ailleurs, existait au nord de celle-ci une petite église d’un seul vaisseau, d’une vingtaine de mètres de long et de quelques mètres de large.

    Un texte, daté de 1110 environ, nous décrit la distribution des terrains sous juridiction épiscopale dans cette partie orientale de l’île de la Cité. Il évoque deux églises, l’une dite « vieille église Saint-Étienne », dont un mur au moins est cassé, et l’autre « nouvelle église ». La présence du palais de l’évêque y est également indiquée. Depuis le XIXe siècle, trois interprétations différentes de l’implantation de ces différents édifices ont été proposées à partir de ce texte, dans quatre publications.

    Sans rentrer dans les raisons des divergences de ces reconstitutions, il est en tout cas improbable que la vieille église Saint-Étienne soit celle du parvis, comme le supposaient Marcel Aubert et Jean Humbert. On expliquerait effectivement assez mal que l’église conservée sur le parvis jusqu’à la consécration du chœur de Notre-Dame de Paris soit celle déjà décrite en ruine cinquante ans avant. Il serait plus logique qu’il s’agisse de l’église neuve et que la vieille église Saint-Étienne soit l’église de l’est ou la petite église découverte plus au nord. Cette configuration est confirmée par un acte de 1168, qui évoque que l’Hôtel-Dieu se trouvait devant l’église Notre-Dame. Or nous savons que l’Hôtel-Dieu occupait les terrains de la tour sud. Ainsi l’église neuve était l’église de l’ouest, et donc l’église Notre-Dame.

    Il n’en reste pas moins une quantité importante d’interrogations que seules des fouilles archéologiques permettraient de résoudre : où se trouvaient exactement les édifices que je viens d’évoquer ? Quelles étaient les possibilités de déploiement du chantier dans ce contexte ? Lesquelles ont été choisies et pourquoi ? Par ailleurs, on parle généralement d’une cathédrale antique, puis d’une cathédrale mérovingienne, ensuite d’une cathédrale carolingienne et enfin une cathédrale romane. Mais les existences passées de toutes ces églises ne peuvent être que supposition sans éléments archéologiques complémentaires.

     

    Éléments bibliographiques :

    Victor Mortet, La cathédrale et le palais épiscopal de Paris, VIe-XIIe siècle, 1888

    Marcel Aubert, Les anciennes églises épiscopales de Paris, Saint-Étienne et Notre-Dame, au XIe siècle et au début du XIIe, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 83ᵉ année, N. 3, 1939

    Jean Humbert - Les origines de Notre-Dame de Paris, Revue d'histoire de l'Église de France, 1964

    Josiane Barbier, Didier Busson et Véronique Soulay, Avant la cathédrale gothique VIe XIe, La grâce d’une cathédrale Notre-Dame de Paris, 2013

    Olivier de Châlus, Thèse de doctorat, en préparation sous la direction de Philippe Bernardi

     

    Fiches thématiques

     

    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Notre-Dame de Paris ou le Moyen Age revisité par le XIXe siècle

    Joëlle Prungnaud

    L’incendie du 15 avril 2019 a été l’occasion d’une prise de conscience par le grand public de l’emprise du XIXe siècle sur la cathédrale du Moyen Age, emprise qui s’est exercée à la fois par la littérature et par la restauration architecturale. En témoigne le retour spontané au roman de Victor Hugo, où l’on a cru lire dans l’épisode fameux de l’assaut de la cathédrale par les gueux une préfiguration de la catastrophe. Ces quelques lignes, largement diffusées par la presse, semblaient coïncider avec le terrible spectacle qui s’offrait aux témoins : « Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée » (NDP, p. 416-417). Au même moment, nombreux furent les admirateurs de Notre-Dame qui découvrirent que la flèche qui venait de s’effondrer n’était pas celle du XIIIe siècle mais celle que Viollet-le-Duc avait reconstruite à partir de 1856. Quant aux cinquante-quatre chimères dressées sur la galerie et qui semblaient tout droit sorties du Moyen Age, il fallut bien admettre qu’elles avaient été réalisées d’après les dessins de l’architecte, inspiré par sa savante étude du bestiaire fantastique médiéval.

    Ces constatations nous amènent à interroger l’interaction qui a pu exister entre la représentation romanesque de l’édifice et sa réinterprétation par l’architecte restaurateur.

    Rappelons tout d’abord que Victor Hugo, après avoir plaidé comme écrivain pour la sauvegarde de la cathédrale parisienne, puis en tant que membre du Comité des arts et monuments, a été personnellement impliqué dans l’approbation du projet de restauration présenté par Jean-Baptiste Lassus et Eugène Viollet-le-Duc. Lorsqu’il siégeait à la Chambre des pairs, il participa, en juillet 1845, à la commission chargée d’examiner le projet, accepté l’année précédente par le conseil des Bâtiments civils, remanié ensuite et assorti du devis. C’est au comte de Montalembert, ardent défenseur du patrimoine, qu’il revint de déposer le rapport de la commission. Les crédits furent votés et le chantier put commencer (1845-1864).

    Au-delà de ces positions institutionnelles, peut-on parler d’une influence directe de l’écrivain sur le contenu du projet et sur sa réalisation, que Viollet-le-Duc assumera seul, à partir de 1857, après la mort de Lassus ? Et notamment sur le programme sculpté mis en œuvre ?

    Comme l’ont montré les historiens de l’art, l’architecte restaurateur a pu s’inspirer de la reconstitution forgée par le romancier. Selon Ségolène Le Men, il aurait transformé les fenêtres du chœur en rosaces « comme en souvenir de l’oculus du concours de grimaces » et aurait rétabli « la galerie des rois telle que Hugo l’imaginait » (p. 122). En dépit des acquis de la recherche archéologique, Michael Camille persiste à voir dans la façade restaurée « un hommage à la prose hugolienne plutôt qu’une œuvre proprement médiévale » (p. 103).

     

    Sans aller jusqu’à rendre l’architecte tributaire de l’écrivain, on peut admettre qu’une commune vision du Moyen Age a pris forme par l’écriture et par le geste architectural et que cette vision est marquée par le romantisme. Chacun donne son empreinte puissante à la réinvention moderne de la cathédrale sans céder aux excès de l’époque contemporaine (mode troubadour, conception étroite de l’art gothique, fantasmagorie romantique). Hugo décrit la beauté hybride d’un édifice de transition tandis que Viollet-le-Duc opte pour une interprétation rationaliste de l’architecture gothique, sans se départir de sa fascination pour l’imaginaire des sculpteurs du Moyen Age

    Eugène Viollet-le-Duc, « Notre-Dame en 1482 », tome I, p. 136.

    Eugène Viollet-le-Duc, « Notre-Dame en 1482 », tome I, p. 136.

    Mais c’est par la médiation de l’image que les liens entre la fable et l’édifice restauré, entre Victor Hugo et Eugène Viollet-le-Duc vont se resserrer. Au fil des éditions successives du roman – et elles furent très nombreuses—, la cathédrale est de plus en plus présente dans les illustrations, au point d’apparaître comme le personnage principal du roman. Cette orientation est voulue par Victor Hugo, puisqu’il ajoute trois chapitres descriptifs centrés sur l’architecture lors de la réédition de 1832 (Livres III et V), dont celui qu’il consacre entièrement à l’éloge de Notre-Dame et à son état présent, avant la restauration que nous connaissons. Cependant, non seulement l’édifice tend à s’imposer à la vue du lecteur, mais la façon de le représenter évolue : en 1844 (édition Perrotin), la vignette de titre de Daubigny montre une façade sans galerie des rois, sans chimères, sans flèche à l’arrière-plan, c’est-à-dire telle qu’on s’était habitué à la voir dans le Paris de Louis-Philippe.

    En 1877, en revanche, dans l’édition Hugues, la flèche est rétablie, comme en réponse aux regrets exprimés par l’auteur : « […] qu’a-t-on fait de ce charmant petit clocher qui s’appuyait sur le point d’intersection de la croisée, et qui […] s’enfonçait dans le ciel plus avant que les tours, élancé, aigu, sonore, découpé à jour ? Un architecte de bon goût (1787) l’a amputé et a cru qu’il suffisait de masquer la plaie avec ce large emplâtre de plomb qui ressemble au couvercle d’une marmite. » (NDP, p. 109). Cette flèche reconstruite figure sur une planche en pleine page, qui n’est autre que l’œuvre de Viollet-le-Duc lui-même, et qui porte ce titre significatif : « Notre-Dame en 1482 ». Viollet-le-Duc prend ainsi le contrepied de l’architecte « démolisseur » honni par Hugo, pour se présenter en réparateur : la légende de la gravure laisse entendre qu’il a restitué la cathédrale (avec Lassus), telle qu’elle existait au XVe siècle, avec sa flèche, sa galerie des rois et ses gargouilles (à l’exception des escaliers du parvis). Qu’en est-il alors des chimères, reconstituées et ajoutées plutôt que restituées ? Toujours dans cette édition, le fameux « démon pensif » accoudé à la balustrade est représenté dans l’eau-forte de Charles Méryon, intitulée Le Stryge (1853) et retouchée par le graveur Méaulle. C’est donc la statue la plus emblématique de la cathédrale restaurée, conçue par Viollet-le-Duc en 1849, qui est retenue pour transporter le lecteur au XVe siècle.

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    Charles Méryon, « Le Stryge », tome I, p. 149

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    Jean-Antoine-Valentin Foulquier, « Apparition », tome II, p. 169.

    On pourrait multiplier les exemples de ces anachronismes –comme cette illustration de Foulquier montrant Frollo en proie au saisissement face à l’apparition d’Esméralda sur la galerie, où sont esquissées en silhouette deux chimères de Viollet-le-Duc. Cet effet de trompe-l’œil combine deux formes de facticité : la fiction et la restauration, pour entretenir l’illusion d’un Moyen Age retrouvé dans le présent, au grand plaisir du lecteur et de l’observateur. Le récit gagne en crédibilité, comme si l’édifice attestait l’existence des personnages, et en retour, les éléments ajoutés ou remplacés par Viollet-le-Duc reçoivent un cachet médiéval, gage de leur apparente authenticité.

     

    Le foisonnement des figures sculptées monstrueuses et composites qui peuplent la galerie et les flancs de la cathédrale restaurée ne saurait recevoir meilleure caution que celle de Hugo, façonnant son héros Quasimodo à l’image d’une gargouille et voyant en Notre-Dame, « […] parmi les vieilles églises de Paris une sorte de chimère ; elle a la tête de l’une, les membres de celle-là, la croupe de l’autre ; quelque chose de toutes » (NDP, p. 112).

     

    Bibliographie

    Michael Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, Paris, Alma, 2011, traduction française de The Gargoyles of Notre-Dame. Medievalism and the Monsters of Modernity, University of Chicago Press, 2009.

    Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1975.

    Ségolène Le Men, La cathédrale illustrée de Hugo à Monet. Regard romantique et modernité, Paris, CNRS Editions, 1998.

    Jean-Michel Leniaud, Les cathédrales au XIXe siècle, Paris, Economica, 1993.

     

    Fiches thématiques

     

    Mise en ligne le 02 octobre 2019

  • Notre-Dame de Paris dans la littérature médiévale

    Judith Förstel

    Extrait des Grandes chroniques de France : Saint Louis et sa cour emmènent en procession la couronne d’épines de Vincennes à Notre-Dame de Paris, dernière étape avant le palais de la Cité (19 août 1239). Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 782, folio 334 recto. Source : gallica.bnf.fr / BnF

    Extrait des Grandes chroniques de France : Saint Louis et sa cour emmènent en procession la couronne d’épines de Vincennes à Notre-Dame de Paris, dernière étape avant le palais de la Cité (19 août 1239). Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 782, folio 334 recto. Source : gallica.bnf.fr / BnF

    L’image de Notre-Dame de Paris doit beaucoup au magistral roman de Victor Hugo ; mais le lien entre le monument et la littérature se manifeste dès l’époque médiévale : la cathédrale est en effet bien présente sous la plume des écrivains du Moyen Âge, et l’étude de ces œuvres permet de mieux comprendre le regard porté sur l’édifice par ses contemporains.

    Les chroniques sont bien sûr une source importante pour retracer sa construction. L’abbé du Mont-Saint-Michel Richard de Torigni, de passage à Paris, fournit à cet égard un témoignage particulièrement précieux lorsqu’il décrit l’avancement des travaux en 1177. La consécration de l’édifice, le 19 mai 1182, est rapportée par la Chronique de Geoffroy de Vigeois. Rigord relève l’instauration de deux prébendes par Philippe Auguste, à la suite de l’inhumation dans la cathédrale de son épouse Isabelle de Hainaut en 1190. Jean de Saint-Victor, au XIVe siècle, note que l’évêque Simon Matifas de Bucy (dont le gisant est toujours visible à Notre-Dame) fut enterré dans la chapelle Saint-Rigobert, qu’il avait fait construire ; c’est lui, par ailleurs, qui fournit la date de 1163 comme étant celle de la pose de la première pierre de l’édifice, mais sans indiquer la source de cette information.

    Les chroniques montrent également le rôle de la cathédrale dans les cérémonies parisiennes et notamment, dans le rituel monarchique : dans le récit des « entrées » comme des funérailles royales, Notre-Dame constitue une station incontournable des cortèges. Le roi s’y rend en outre fréquemment dans d’autres occasions : Saint Louis s’y arrête avant de déposer la couronne d’épines dans son palais de la Cité, Charles V vient y rendre grâce de la naissance de son héritier, Charles VI remercie régulièrement la Vierge de ses rémissions, etc.

    Mais la cathédrale est également présente dans de nombreux autres types de textes. Elle est l’un des grands monuments du paysage parisien et on la retrouve donc régulièrement citée dans les œuvres qui évoquent la ville, comme les descriptions et les récits de voyage de la fin du Moyen Âge et du début du XVIe siècle, ou les « dits » qui énumèrent les établissements religieux de Paris aux XIIIe-XIVe siècles, ou bien encore les œuvres rhétoriques en latin consacrées à Paris, telles que le Traité des louanges de Paris composé en 1323 par l’universitaire Jean de Jandun. Ce dernier conduit le lecteur à la découverte de Notre-Dame : après avoir franchi la façade à deux tours, il passe sous les voûtes des bas-côtés et des chapelles étincelantes, puis il est guidé vers les roses du transept. Ce cheminement est l’image d’une progression spirituelle à travers un édifice parfaitement agencé, véritable mise en pierre de la rigueur de la pensée scolastique.

    La façade attire particulièrement l’attention des écrivains : ses deux tours jumelles sont vantées tant par Jean de Jandun que par l’humaniste Stoa dans sa Cleopolis (1514) ; sa galerie des rois apparaît dans plusieurs textes littéraires, comme les XXIII manières de vilains (XIIIe siècle) où un larron vient dérober la bourse d’un naïf visiteur trop occupé à y reconnaître Pépin et Charlemagne. Mais les auteurs médiévaux ne se cantonnent pas à l’extérieur de l’édifice et mentionnent aussi les sculptures qui se trouvent à l’intérieur de la cathédrale, notamment la clôture de chœur.

    Notre-Dame est généralement présentée sous un jour très favorable : pour Jean de Jandun, elle resplendit parmi les églises de Paris sicut sol inter astra (« comme le soleil parmi les étoiles ») ; Antoine d’Asti, dans les vers qu’il consacre à la louange du royaume de France au milieu du XVe siècle, reconnaît en Notre-Dame de Paris un édifice « construit dans toutes ses parties avec une admirable ordonnance ». Seul Antonio de Beatis, dans le journal du voyage qu’il fait en France dans l’entourage du cardinal d’Aragon en 1517-1518, la traite d’« église large et grande, mais pas très belle » (« è una largha et grande ecclesia, ma non molto bella »).

    Pour autant, Notre-Dame de Paris n’était pas nécessairement considérée au Moyen Âge comme la plus remarquable des cathédrales françaises, la palme étant plutôt accordée à Amiens. Sans doute les auteurs de la fin du Moyen Âge, même s’ils ne l’expriment pas aussi clairement, partageaient-ils le jugement des maîtres d’ouvrage de la cathédrale de Milan en 1402, qui jugeaient Notre-Dame trop sombre. En tout cas, lors de son passage à Paris en 1495, Hieronymus Münzer trouve que la basilique de Saint-Denis est « beaucoup plus belle et plus claire ». Même Jean de Jandun, son principal thuriféraire, admire surtout dans Notre-Dame ses parties rayonnantes, notamment le transept avec ses roses. Et l’église qu’il décrit comme « l’une des chambres du Paradis », ce n’est pas Notre-Dame… mais la Sainte-Chapelle voisine, expression parfaite de cet art rayonnant !

     

     

    Bibliographie

    Notre-Dame des écrivains. Raconter et rêver la cathédrale du Moyen Âge à demain, préface de Michel Crépu, Paris, Gallimard, Folio classique, 2020.
    Pascal Tonazzi, La grande histoire de Notre-Dame dans la littérature, Le Passeur, 2019.
    Judith Förstel, « Sicut sol inter astra. Notre-Dame de Paris vue par les écrivains du Moyen Âge », Livraisons d’histoire de l’architecture, n°38, 2019, p. 9-22.

     

    Fiches thématiques

     

    Mise en ligne le 16 février 2020

  • Joris-Karl Huysmans (1848-1907) et Notre-Dame de Paris

    Joëlle Prungnaud

    Deux événements récents de l’actualité culturelle rappellent, s’il en était besoin, la place éminente de Joris-Karl Huysmans dans les lettres et les arts : son entrée dans la prestigieuse collection de référence des éditions Gallimard, la Bibliothèque de la Pléiade (Romans et nouvelles, oct. 2019) et l’hommage rendu par le musée d’Orsay à la pertinence de son jugement esthétique (Huysmans critique d’art, 25 nov. 2019 – 1er mars 2020). Cet écrivain majeur de la fin du XIXe siècle, dont la postérité a surtout retenu le retentissant A Rebours (1884), a passé la plus grande partie de sa vie dans la capitale, attentif aux transformations de la ville moderne mais surtout attaché au vieux Paris gothique qu’il redoutait de voir disparaître.

    Si l’on extrait de ses œuvres (romans, articles et essais), ses commentaires sur Notre-Dame, on constate que l’écrivain et critique d’art a toujours entretenu, avec la cathédrale parisienne, une relation complexe, voire passionnelle. Il dénigre et admire dans un même mouvement, ses élans d’enthousiasme sont brutalement refrénés par l’expression de ses réserves mais toujours dans une grande cohérence. On ne relève aucun repentir, aucun reniement dans ses appréciations, plutôt une évolution, une reconnaissance progressive, depuis l’accès d’humeur qu’il prête à Cyprien, le jeune peintre de En ménage : « Ah ! ils m’enquiquinent à la fin tous ces gens qui viennent vous vanter l’abside de Notre-Dame […] » (1881) jusqu’à sa fascination pour le savant mystère des portails de la cathédrale (« La symbolique de Notre-Dame de Paris », 1905).

    On serait même en droit de penser que l’emblématique église a constitué un point de fixation, un exutoire à ses rancœurs, à chacune des prises de position qui ont jalonné son parcours intellectuel et spirituel.

    Il y eut d’abord le violent rejet du romantisme et de ses lieux communs, car le goût du pittoresque et « des architectures à effet » empêche, selon lui, de voir les beautés de la rue « toujours neuve ». Voilà pourquoi l’un des protagonistes de En ménage (cité plus haut), qui se dit épris de « naturalisme et de modernité », s’exaspère des « enthousiasmes sur commande » suscités par les « anciennes basiliques » (chap. V, 137-139). Un demi-siècle, rappelons-le, s’est écoulé depuis la célébration de Notre-Dame par le chef de file de la génération romantique (Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831).

     

    Il y eut ensuite le rejet non moins violent du positivisme architectural, incarné à ses yeux par le restaurateur de la cathédrale, Eugène Viollet-le-Duc. Huysmans s’oriente à cette époque vers l’exploration de la spiritualité, avec l’écriture des quatre romans qui composent le « cycle de Durtal », du nom de son personnage principal. Après la tentation du satanisme (Là-bas, 1891), il se tourne vers la foi catholique (En route, 1895), puis se consacre avec ferveur à l’étude de « l’âme des cathédrales ». Et ce n’est pas celle de Paris qu’il choisit entre toutes, mais celle de Chartres, qu’il juge « autrement intéressante» (La Cathédrale, 1898, p. 92).

     

    En dépit de ses désaccords, Huysmans rend hommage aux romantiques pour leur éloge de l’art gothique, méprisé par l’âge classique et, s’il sait gré aux architectes et archéologues d’avoir sauvé l’architecture médiévale, il critique leur approche matérialiste des monuments et la conception de la restauration qui en découle. A ce titre, le cas particulier de Notre-Dame de Paris est exemplaire car il illustre, à en croire Huysmans, les erreurs de son temps en matière de conservation du patrimoine : « Notre époque, qui voulut soigner Notre-Dame, s’est bornée […] à la gratter et à la rafistoler du haut en bas » (« Le quartier Notre-Dame », 1899, in A Paris, p. 171). La cible de ses attaques n’est autre que « le fameux Viollet-le-Duc », qui a eu le tort de « rajeunir » l’édifice, de lui faire perdre « sa patine», c’est-à-dire de pratiquer la restauration comme une remise à neuf. Ce contresens met en péril l’authenticité du monument : « toutes les statues sont retapées ou entièrement refaites », déplore-t-il avec amertume (ibid., p. 172). Il s’insurge également contre le dégagement des cathédrales, dont Notre-Dame offre un triste exemple, puisqu’après la destruction des églises et des maisons qui l’entouraient, elle se dresse désormais seule sur son immense parvis. Qui plus est, les hautes bâtisses neuves qui enlaidissent son cadre d’origine la dérobent à la vue et l’affluence des « indécents touristes », des « goujats de Londres» qui perturbent les offices, achève de profaner le lieu saint. Cette accumulation de griefs conduit Huysmans à une conclusion qui tombe comme un couperet : « cette cathédrale n’a plus d’âme ; elle est un cadavre inerte de pierre » (La Cathédrale, chap. III, 116-117).

     

    Son jugement esthétique n’est pas moins sévère et il ne varie pas sur ce point : « en dépit des dithyrambes d’Hugo, elle demeure de second ordre » (idem). Il énumère tout ce qu’elle n’a pas, en comparaison avec ses sœurs de la grande famille gothique. Il la trouve énorme, noire et nue, « hivernale » en un mot. Il s’afflige de sa tristesse et de la lourdeur de ses tours « mastoques et sombres, presqu’éléphantes » (ibid., p. 169) mais, sitôt qu’il pénètre dans la nef, il est saisi par sa « magnifique allure», par sa majesté et par la gravité qui émane de la pesanteur même de ses piliers. Dans une belle page d’écriture, il s’enchante de la féérie de son transept, allégé et illuminé par ses deux roses (« Le quartier Notre-Dame », p. 171). L’effet fantastique opère à la vue de l’immense « vaisseau de Notre-Dame dont les arcs-boutants semblent les côtes décharnées d’un être préhistorique, d’un mammouth immense », quand les « monstres installés sur les balcons de la tour du nord nous regardent » (ibid., p. 181). Intact est demeuré le goût de Huysmans pour le bestiaire sculpté, célébré avec ardeur dix ans plus tôt : « C’est sur cette cathédrale que s’érige l’une des plus merveilleuses théories de démons et de monstres » (Certains, 1889, p. 329). Il se garde de toute allusion à Viollet-le-Duc quand il évoque ces « extravagants oiseaux » et « cette ménagerie de bêtes » hybrides « [p]enchés depuis cinq cents ans au-dessus de l’énorme ville qui les ignore ».

     

    Quand le moment sera venu d’écrire le roman de la cathédrale, il lui faudra prendre ses distances avec son illustre prédécesseur pour imposer sa marque, rompre avec le lyrisme du romancier de Notre-Dame de Paris, avec le romanesque de l’intrigue et le pittoresque des personnages, et surtout il lui faudra changer de modèle. En réponse à la cathédrale vivante et habitée de Victor Hugo, Huysmans conçoit la basilique médiévale comme un dictionnaire de symboles, que l’époque moderne peine à déchiffrer. Le personnage de Durtal, guidé par la documentation érudite de l’auteur, se fera l’exégète éperdu de Notre-Dame de Chartres. Le roman populaire de Hugo, saturé d’images et d’émotions, s’est transformé en livre savant, porté par le savoir et les mots rares, traversé par la désespérance fin-de-siècle.

     

    Toutefois, c’est par la lecture savante que Huysmans revient vers Notre-Dame de Paris pour lui rendre un dernier hommage, en 1905. Comme à Chartres, il décrypte méthodiquement sa façade, « une des pages du grand livre de pierre écrit au XIIIe siècle sur notre sol » et, une fois l’exercice achevé, il se risque au-delà des apparences pour déceler, sous le voile de la symbolique chrétienne, « une symbolique occulte, compréhensible seulement pour quelques initiés » (Les Eglises de Paris, p. 64). Dans un émouvant crescendo, il tente de percer le secret de la porte de Sainte-Anne et de Saint-Marcel, pour découvrir « les préceptes de la Kabbale ». Non sans jubilation, il nous révèle à demi-mot ce que cache Notre-Dame : « une arrière-pensée qui sent un tantinet le fagot », se réjouit-il. Ce que Durtal avait échoué à faire à Notre-Dame de Chartres : « me réunir, me coordonner, me grouper », pour enfin trouver la sérénité, peut-être Huysmans y parvient-il en décelant, dans l’âme de la cathédrale parisienne, l’apaisement de ses propres déchirements intérieurs, puisqu’elle est « à la fois catholique et occulte ». Ainsi, après avoir prononcé ses vœux d’oblature (L’Oblat, 1903), il retrouve les accents subversifs de Là-bas et cède à sa trouble attirance pour « les sciences maudites » pratiquées au Moyen Age. Il va même jusqu’à reconnaître à Victor Hugo le mérite d’avoir eu « une vague intuition » de la symbolique médiévale mais c’est « le poète », plus que le romancier, qui recueille ses louanges.

     

    Voir, lire, écrire la cathédrale, le cycle ébauché devant Notre-Dame de Paris, aurait pu s’accomplir pleinement avec le projet de « la décrire autrement qu’en un rapide abrégé », exprimé en 1905, mais la maladie ne lui en laissera pas le temps.

     

    Cette rapide synthèse nous montre, en tout cas, à quel point l’opinion de Huysmans sur les questions de restauration reste d’actualité. Nous l’avons vu préconiser le maintien des matériaux anciens même usés, dénoncer la technique du « grattage » de la vieille pierre, qui lui ôte sa patine, efface les traces du passé. Il prône ce que l’historien d’art viennois Aloïs Riegl (Le culte moderne des monuments, 1903) appelle la « valeur d’ancienneté » qui, aujourd’hui encore, reste un critère essentiel aux yeux des professionnels chargés d’assurer la sauvegarde du patrimoine architectural (Charte de Venise, 1964). Hostile à la théorie du dégagement, Huysmans plaide pour le respect du paysage urbain dans lequel s’inscrit l’édifice et c’est bien cette perspective qui a été adoptée par l’Unesco, en 1991, avec le classement du site « Paris, Rives de la Seine », et non de la cathédrale isolée, au patrimoine mondial. Ainsi, par la vigueur de ses réactions, par l’efficacité de son style percutant et la beauté de ses descriptions, Joris-Karl Huysmans se place dans la lignée des grands écrivains qui ont contribué à la préservation des arts du Moyen Age, notamment de l’architecture religieuse.

     

    BIBLIOGRAPHIE

    En ménage (1881), Genève, Librairie Droz, 2005.

    « Le monstre » (1889), in L’Art moderne. Certains, Paris, Union Générale d’Editions, 1975, p. 325-336.

    La Cathédrale (1898), Monaco, Editions du Rocher, 1992.

    « Le quartier Notre-Dame » (1899), repris dans A Paris, Patrice Locmant éd., Paris, Bartillat, 2005.

    « La symbolique de Notre-Dame de Paris » (1905), repris dans Les Eglises de Paris, Les Editions de Paris, 2005, p. 55-75.

    Joëlle Prungnaud, « Huysmans et l’architecture », in Huysmans et les arts, sous la direction de Jérôme Solal, La Revue des lettres modernes, Paris, Minard, 2016, p. 261-281.

     

     

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    Mise en ligne le 10 mars 2020