• A propos de la charpente de Notre-Dame de Paris

    1) Etat des recherches en dendrochronologie

    G.-N. Lambert, P. Hoffsummer, V. Bernard, V. Chevrier

    Patrick Hoffsummer (premier plan) et Georges Lambert prélevant un échantillon dans la charpente de Notre-Dame de Paris (Photo Claude Huyghens, 1991).

    Environ 70 prélèvements ont été réalisés par les dendrochronologues Vincent Bernard (Rennes, UMR 6566 CReAAH), Patrick Hoffsummer (Université de Liège) et Georges-Noël Lambert (Chercheur honoraire du CNRS et Collaborateur de l’université de Liège) de 1991 à 1994.

    La moyenne des âges cambiaux des arbres employés est autour de 100 ans, au maximum 120 ans.

    Quarante neuf échantillons en chêne datent de la fin du XIe siècle (date d’abattage la plus ancienne en 1156, cambium conservé) au XVIIIe siècle. La majorité de la charpente datait du XIIIe siècle (avant 1226), à l’exception de :
    - la flèche de Viollet-le-Duc,
    - un lot de remplois du XIIe siècle, regroupés notamment vers la façade ouest,
    - une reprise XIVe siècle, autour de 1360,
    - une réparation au début du XVIIIe siècle, autour de 1725.

    La charpente du chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris n’était pas la charpente primitive. Elle intégrait des remplois datés autour de 1160 et 1170, qui pourraient provenir d’une première étape du chantier.

    Ces résultats, ainsi qu’un relevé des marques de charpentier ont été consignés dans un mémoire de DEA par Virginie Chevrier


    Référence

    Virginie CHEVRIER, « La charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris à travers la dendrochronologie », mémoire de DEA en histoire de l’art et archéologie médiévale, Université Paris IV, 2 vol., 1995

     

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    Mise en ligne le 25 avril 2019

  • A propos de la charpente de Notre-Dame de Paris

    2) Un chaînon important pour l’histoire des toitures médiévales en Europe

    P. Hoffsummer

    la charpente de la nef. Photo Patrick Hoffsummer 2009

    Les datations dendrochronologiques (voir fiche 1) acquises de 1991 à 1996 ont été intégrées dans le Corpus tectorum des charpentes du nord de la France et de Belgique, publié par les éditions du patrimoine en 2002 . Ce catalogue raisonné, suivi d’une synthèse sur l’évolution des charpentes de toiture dans le nord de la France et la Belgique du XIe au XIXe siècle, comprend près de 300 études de toitures hiérarchisées à l’aide, notamment, de relevés disponibles à la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine (Ministère de la Culture), dont ceux des charpentes de Notre-Dame, par Eugène Viollet-le-Duc, puis Henri Deneux. Les toitures de Notre-Dame y tiennent une place importante en tant qu’exemples de charpentes à chevrons formant ferme divisées en travées. Elles présentent la spécificité d’avoir des fermes principales dont l'entrait est tenu par un système de suspension, caractéristique de l’inventivité des charpentiers du XIIIe siècle, système que l’on retrouve notamment dans les cathédrales de Meaux et d’Auxerre.

    En 2009, la toiture de Notre-Dame, surnommée par les charpentiers la « Forêt de Notre-Dame », tant la quantité de bois mis en oeuvre y était importante, a été visitée par un groupe international de chercheurs dans le cadre d’un projet européen « Culture 2000 » intitulé « Toits de l’Europe ». La Médiathèque de l’Architecture du Patrimoine et la Cité de l’architecture participaient à ce programme, notamment dans le cadre d’une exposition au Palais de Chaillot où le public a pu admirer une collection de maquettes de charpentes anciennes, dont celles de Notre-Dame. Dix ans plus tard, la communauté de ces chercheurs est donc particulièrement émue par la perte de ce maillon essentiel à propos de l’histoire des charpentes en Europe.

     

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    Mise en ligne le 25 avril 2019

  • A propos de la charpente de Notre-Dame de Paris

    3) Les bons gestes après la catastrophe

    G.-N. Lambert, P. Hoffsummer, V. Bernard, V. Chevrier

    Liège, échantillon d’une poutre récupérée sur le lieu de l’incendie de l’ancien hôtel d’Elderen à Liège, en 1995. Dans certains la dendrochronologie demeure possible sur des bois brûlés.

    Les données dendrochronologiques acquises de 1991 à 1996 sont en train d’être mises à jour et ont été transmises à plusieurs dendrochronologues français afin d’assurer leur sauvegarde. En effet, concernant l’ensemble des laboratoires francophones, faute d’une organisation adéquate de la mise en commun des données dendrochronologiques, le risque de disparition à court terme de dizaines d’années de travail est très grand.

    Au lendemain de la catastrophe, les bois brûlés accumulés dans les décombres conservent un potentiel scientifique très important, notamment pour développer davantage la recherche en dendrochronologie.

    On peut se réjouir que la campagne de 1991 – 1996, liée à une activité de recherche dans un cadre académique, avait permis de récolter 70 échantillons alors qu’une simple campagne « de service » s’en serait contenté de moins. Le potentiel de tels édifices, à propos de l’évolution complexe d’un chantier médiéval, de l’histoire des forêts anciennes, ou celle du climat, est toutefois bien supérieur. Les campagnes récentes à Beauvais ou à Bourges ont récolté entre 150 et 300 bois. En temps « normal » on se serait satisfait, à Notre-Dame, des 70 premiers échantillons comptant sur la possibilité de retourner sur site pour des études plus approfondies. C’est le cas de toutes les toitures qui constituent une forme de réserve précieuse pour la science. La récente catastrophe change brutalement la donne. Sans baisser les bras, il conviendrait d’échantillonner de manière méthodique le matériel encore disponible dans les décombres après l’incendie. Une démarche qu’il faudra susciter avec insistance.

     

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    Mise en ligne le 25 avril 2019

  • Les matériaux des charpentes : fonte et béton

    Arnaud Timbert

    La charpente en béton de la cathédrale de Noyon

    Le 1er avril 1918, sous le feu de l’artillerie française, la charpente de la cathédrale de Noyon est incendiée. En 1936, fort des expériences des architectes Deneux à Reims (cathédrale), Brunet à Soissons (cathédrale) et à Saint-Quentin (collégiale) l’architecte Collin choisit d’ériger une charpente en béton. Son choix est motivé : 1 – par une carence relative du bois d’œuvre dans la partie nord-est du pays; 2 – par la possibilité de réaliser une structure plus légère que la charpente en chêne antérieure et ménageant ainsi les maçonneries ébranlées par le sinistre; 3 – par une exécution plus rapide et moins coûteuse en matériaux comme en main d’œuvre. C’est donc le bon sens et l’adaptation de l’architecte au contexte économique, structurel et écologique qui orientèrent son choix.


    Arnaud TIMBERT, « La charpente en béton de la cathédrale de Noyon », La cathédrale Notre-Dame de Noyon : cinq années de recherches, dir. A. Timbert, coll. S. D. Daussy, Mémoires de la Société historique et archéologique de Noyon, vol. 39, 2011, p. 159-170.


    La charpente en fonte de la cathédrale de Chartres

    Le 4 juin 1836, les braises d’un brasero de plombier entretenant les couvertures en plomb de la cathédrale se sont introduites dans les combles du haut vaisseau. L’ensemble a été détruit en quelques heures. Après l’émotion et de multiples discussions qui sont tout à fait identiques à celles que nous connaissons autour de Notre-Dame de Paris aujourd’hui - jusqu’au pathos des prières - il a été convenu, notamment pour des raisons économiques, de ne pas ériger une charpente en bois mais de privilégier les matériaux produits par l’industrie contemporaine. Dès 1837, la solution de l’architecte Martin et du serrurier Mignon est privilégiée avec le soutien de Vitet : il s’agit d’une solution mixte à fonte et acier qui s’inscrit dans la continuité des premières expériences dans le domaine (notamment la charpente en fer de l’abbatiale de Saint-Denis au début des années 1844-1845) et du cuivre pour la couverture. Dans les deux cas il s’agit d’un choix motivé par les arguments économique et physique (le caractère a priori incombustible des matériaux).


    S. D. DAUSSY, « De l’apport du Dictionnaire de Viollet-le-Duc à la connaissance de l’ancienne couverture en plomb », Chartres. Construire et restaurer la cathédrale XIe-XXIe s., dir. A. Timbert, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014, p. 335-359.

     

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    Mise en ligne le 26 avril 2019

  • Les matériaux de charpente chez Viollet-le-Duc
    1. Charpentes en bois ou en métal ?

    Arnaud Timbert

    Arch. dép. Yonne : 1 Fi Vézelay 1 art. 154 – Vézelay. Abbatiale Sainte-Madeleine. Assemblage des entraits métalliques de la charpente du haut vaisseau. E.-E. Viollet-le-Duc, s. d. Détail, © A. Timbert.

    Viollet-le-Duc a souvent critiqué la mauvaise connaissance du bois, surtout chez les architectes : « La nature s’est, je crois, fort peu préoccupée de savoir si le chêne, le sapin nous seraient bons à quelque chose ; et si l’intelligence humaine a su tirer parti de ces matériaux qui croissent devant nos yeux, c’est après avoir reconnu et constaté par l’expérience leurs propriétés. Malheureusement il semblerait que les résultats de cette expérience ne tendent pas à s’accroître, et, à voir la façon dont on emploie le plus habituellement ces bois aujourd’hui, on pourrait admettre que nous sommes moins instruits que nos devanciers ou que nous avons perdu cette habitude de l’observation avec laquelle ils étaient familiers. » Aussi, en invitant « les savants » (archéologues et historiens) à rencontrer les praticiens (charpentiers et menuisiers) et en suggérant aux praticiens d’abandonner leurs vieilles habitudes en revigorant leurs connaissances à l’écoute des « savants », Viollet-le-Duc a joué pour le bois un rôle peut-être plus important que pour tout autre matériau ; et pourtant, il est particulièrement hésitant dans son usage, notamment en charpenterie.

     

    Dans le domaine Viollet-le-Duc recourt le plus souvent au système hybride à fer et bois (système Polonceau) à Vézelay, Sens et Beaune. Il est à cet égard en marge de ses contemporains qui érigent des charpentes en fer dès les années 1820-1830 à l’église de La Madeleine, à la basilique Saint-Denis (1844-1845) ou encore à l’église Sainte-Clotilde de Paris (1857) pendant que la fonte et le cuivre couvrent le haut vaisseau de la cathédrale de Chartres dès après 1837. Viollet-le-Duc semble à ce point réservé sur l’emploi du métal que s’il décide, avec Lassus, de couvrir les bas-côtés de la galerie du chœur de Notre-Dame de Paris à l’aide de fermes métalliques, il opte néanmoins pour une réfection en bois des charpentes des bras du transept et des travées adjacentes. Toutefois, la charpente réalisée par les deux architectes n’est pas une reproduction des structures antérieures des bras du transept non plus que de celles de la nef et du chevet mais une réalisation synthétisant les innovations techniques apportées dans le domaine entre la deuxième moitié du XIIIe siècle et la fin du XVe siècle. S’il y a perfectionnement ou innovation ici, ils sont d’ordre syncrétique. Plus tard, dans son dernier chantier, à la cathédrale de Lausanne, Viollet-le-Duc fait le choix de la charpente en bois au détriment d’une expérience innovante.

    La même hésitation est à noter pour les édifices qu’il construit : aux églises d’Aillant-sur-Tholon (Yonne) et à Saint-Denis-de-l’Estrée (Seine-Saint-Denis), en 1866 et 1867, il lance une charpente à système Polonceau où le bois domine alors qu’il opta avec Lassus, dès 1848, pour une charpente métallique à la sacristie de Notre-Dame. Viollet-le-Duc, à l’image de sa période, semble ainsi tiraillé entre la tradition et l’innovation technologique ce qui, parfois, le confine, comme pour s’extraire de ce conflit intérieur, à des propositions audacieuses telles que les fermes en brique et entraits métalliques du haut vaisseau de la cathédrale de Clermont (1872), ou encore la couverture en zinc (proposition) de la Madeleine de Vézelay (1840). Le château de Pierrefonds résume l’ensemble de ses exemples par un passage du tout bois entre 1857-1863 au tout fer, à partir de 1864.

     

    Références :

    A. Timbert, Restaurer et bâtir : Viollet-le-Duc en Bourgogne, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Architecture & Urbanisme », 2013, p. 156-161.

    A. Timbert, Viollet-le-Duc et Pierrefonds : Histoire d’un chantier, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Documents & Témoignages », 2017, p. 180-210.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Les matériaux de charpente chez Viollet-le-Duc
    2. Choix des essences et travail du bois

    Arnaud Timbert

    Pour le château de Pierrefonds, comme pour les autres chantiers de Viollet-le-Duc, peu d’informations nous sont transmises sur le choix des essences, sur leur provenance et sur les outils employés pour façonner les bois. Tout au plus sait-on que Viollet-le-Duc ne souhaitait, pour la charpente notamment : « […] en aucune façon employer les bois de Villers-Cotterêts, mais bien ceux de Champagne », sans qu’il ait justifié les raisons de ce choix déjà imposé pour la flèche de Notre-Dame de Paris. Pour le reste les mémoires, notamment à Pierrefonds et Vézelay, dévoilent un usage classique de ce matériau.

    Les échafaudages sont à essence mixte de sapin, de peuplier et de bois « de l’administration » tandis que quelques pièces sont faites à l’aide de « vieux bois » remployés de diverses structures. Les lames de plomb des chéneaux, des crêtes de faîtage et des noues sont fixées, ainsi qu’à Notre-Dame sur du chêne « de sciage non raboté », tandis que les voliges sont tantôt en sapin brut ou le sapin dit « rouge du Nord », tantôt en peuplier. Les outils employés sont rarement mentionnés ; l’observation des bois de charpente des tours Hector et Godefroi (Pierrefonds) comme des courtines révèle un emploi généralisé de la scie et du rabot. Les mêmes observations peuvent être faites dans les charpentes de Saint-Denis-de-L’Estrée, du château de Pupetières, ou de l’église d’Aillant-sur-Tholon. La mécanisation des scieries, la livraison des bois calibrés et taillés, voire de charpentes préfabriquées, témoignent dans le domaine d’une organisation déjà très éloignée des méthodes médiévales.

     

    Références :

    A. Timbert, Restaurer et bâtir : Viollet-le-Duc en Bourgogne, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Architecture & Urbanisme », 2013, p. 156-161.

    A. Timbert, Viollet-le-Duc et Pierrefonds : Histoire d’un chantier, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Documents & Témoignages », 2017, p. 180-210.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Les frères Durand et la plomberie d’art de Notre-Dame au XIXe siècle

    Arnaud Timbert et Stéphanie-Diane Daussy

    Dès 1844, les architectes Lassus et Viollet-le-Duc proposent une restauration de la flèche qui ornait la croisée du transept jusqu’en 1792. Ils élaborent un projet sur le fondement d’un dessin de Garneray. Lassus, dans un premier temps favorable, est cependant dubitatif sur la valeur archéologique du document. Viollet-le-Duc se charge d’exécuter l’œuvre, en 1859, deux ans après le décès de son confrère. Pour cette réalisation il fait appel, outre Geoffroy-Dechaume pour la sculpture et Auguste Bellu pour la charpente à Louis-Jacques Durand pour la plomberie.

    Pour faire revivre la plomberie d’art et approvisionner ses chantiers en pièces de qualité – tables, épis et crêtes de faîtage – Viollet-le-Duc « […] a été secondé par un homme intelligent et, chose plus rare, disposé à laisser de côté les routines, M. Durand, [le premier a avoir] rendu à cette belle industrie une partie de sa splendeur. » Louis-Jacques Durand (1818-1860) et son frère, Antoine-Jérôme (1820-1870) héritent de l’entreprise de plombier fontainier fondée par leur père au 29 rue Saint-Nicolas-d’Antin à Paris. A partir de 1854 Louis-Jacques, à la tête de l’entreprise, élargit son champ de compétence au plomb d’art repoussé. Il est chargé durant cette décennie et la suivante de divers chantiers de premier plan parmi lesquels la flèche de la cathédrale d’Amiens (sous les ordres de Viollet-le-Duc), celles de la collégiale Notre-Dame-en-Vaux de Châlons-en-Champagne ainsi que la flèche de la basilique Saint-Nicolas de Nantes (sous les ordres de Lassus). Il est par ailleurs associé à la réalisation de la flèche de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans (sous les ordres de Boeswillwald) et aux restaurations du château de Blois à partir de 1857, où il figure comme « plombier d’art » (sous les ordres de Duban). Enfin, il s’est tout particulièrement illustré à la Sainte-Chapelle ainsi qu’à Notre-Dame de Paris où il exécute la crête du faîtage et les plomberies de la flèche ainsi que la couverture et les ornements de la sacristie. C’est avec certaines de ces réalisations, notamment les statues et ornements en plomb repoussés de la Sainte-Chapelle et le poinçon de la chapelle Sainte-Theudosie de la cathédrale d’Amiens – dessiné par Viollet-le-Duc – que Durand obtient une médaille de 1ère classe à l’Exposition universelle de 1855. Comme l’écrit Émile Amé, avec qui il travaille pour la création de la flèche de Saint-Martin de Chablis, Durand a ainsi sans relâche « poursuivi avec amour l’art du plombier sous toutes ses faces et l’a fait positivement renaître. » Aussi la renommée de l’entrepreneur s’évalue-t-elle à la lecture d’un mémorialiste mondain comme Horace de Vieil-Castel qui mentionne l’élévation de l’artisan au grade de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur (1857), quand il évoque, du bout des lèvres, les architectes de son temps. Viollet-le-Duc ne pouvait solliciter un autre artisan pour Notre-Dame ; c’est à ce compagnon qu’il fit appel pour les travaux de couverture et de plomberie avant son remplacement par Monduit.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • L’architecte et le charpentier d’une cathédrale achètent des bois sur pied avec la caution financière du verrier (Tours, 1279)

    Claude Andrault-Schmitt

    On a la chance d’avoir conservé l’original d’un contrat par lequel un maître d’œuvre, Etienne de Mortagne, et son charpentier, Lucas, achètent aux chanoines de la cathédrale de Tours les chênes d’une parcelle leur appartenant. Une plus grande chance encore d’avoir sous les yeux la charpente correspondante, qui est celle du bras sud du transept, datée par dendrochronologie et représentant une extension somptuaire et non prévue de l’église – le transept de Notre-Dame de Paris avait fait des émules. Le document, dont des extraits sont traduits ci-dessous, est riche de plusieurs enseignements :

    1- Les chanoines négociaient plutôt qu’ils ne donnaient. Il est cependant possible qu’ils aient fait planter cette parcelle de chênes (serrés, un peu comme on plante des poireaux) une trentaine d’années auparavant, en prévision des nécessités de la toiture de leur cathédrale, juste à temps pour pouvoir disposer de grumes d’une section convenable (c’est-à-dire faible) pour les chevrons et poinçons.

    2- L’architecte était un entrepreneur au sens vertical du terme. Il achetait carrières et bois, recrutait les praticiens, engageait ses biens en espérant recevoir une rente suffisante sous la forme d’un salaire et d’avantages en nature (maison, vêtements…) - mais il existe des cas de faillite.

    3- Face à la nécessité de réunir des sommes importantes, les maîtres de différents corps de métier, dont nous savons par ailleurs qu’ils étaient voisins, occupant des maisons proches du chantier, étaient financièrement solidaires : architecte lapicide, charpentier, verrier, lapicide en second.

    4- Ici on a pratiqué une coupe claire d’une durée de 5 ans pour une utilisation immédiate.

    « Constitués en droit par devant nous, Étienne de Mortagne, lapicide et maître d’œuvre de la cathédrale, et Lucas, dit Le Bûcheron, ont confessé avoir acheté aux vénérables doyen et chanoines de Tours tous les arbres de trente quatre arpents des bois appartenant aux dits doyen et chapitre. Ces bois sont appelés Bois de Saint-Maurice, et situés dans la paroisse de Saint-Branchs […] Tout arpent est au prix de 16 livres. De la somme totale, les susdits Étienne et Lucas et chacun d’entre eux solidairement promettent de payer 100 livres d’ici la prochaine fête de saint Maurice, et 100 livres avant la même fête l’année suivante, et ce chaque année avant la dite fête jusqu’à ce que tout le prix indiqué soit acquitté intégralement. Contrat a également été passé entre ces acheteurs d’une part et ces vendeurs de l’autre, selon lequel les acheteurs s’acquitteront dans le dernier terme du paiement de tout le reste du prix susdit excédant 100 livres (soit 144 livres). Ces acheteurs promettent et se sont obligés à vendre, exploiter, enlever tout le bois qu’ils ont acheté dans un délai de cinq ans à compter de la mi-mai prochaine. Eux et chacun d’eux solidairement promettant même de restituer et rembourser toute perte et préjudice, […] eux-mêmes et chacun d’entre eux ayant obligé par la foi solidairement leurs héritiers et tous leurs biens réellement. D’ailleurs, constitués en droit devant nous, de manière présente, maître Simon dit du Mans, lapicide, et Richard le [Verrier], avouant que toutes les conditions et les choses qui leur ont été exposées avec précision étaient vraies, s’établissent tous et chacun d’eux solidairement les cautions et principaux débiteurs. »

    Archives départementales de l’Indre-et-Loire, G 68

     

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    Mise en ligne le 16 mai 2019