• Charpentes, toitures, structure

    Fiches thématiques

     

    A propos de la charpente de Notre-Dame de Paris

    1) Etat des recherches en dendrochronologie

    G.-N. Lambert, P. Hoffsummer, V. Bernard, V. Chevrier

     

    A propos de la charpente de Notre-Dame de Paris

    2) Un chaînon important pour l’histoire des toitures médiévales en Europe

    P. Hoffsummer

     

    A propos de la charpente de Notre-Dame de Paris

    3) Les bons gestes après la catastrophe

    G.-N. Lambert, P. Hoffsummer, V. Bernard, V. Chevrier

     

    Les matériaux des charpentes : fonte et béton

    Arnaud Timbert

     

    Les matériaux de charpente chez Viollet-le-Duc

    1. Charpentes en bois ou en métal ?

    2. Choix des essences et travail du bois

    Arnaud Timbert

     

    Les frères Durand et la plomberie d’art de Notre-Dame au XIXe siècle

    Arnaud Timbert et Stéphanie-Diane Daussy

     

    L’architecte et le charpentier d’une cathédrale achètent des bois sur pied avec la caution financière du verrier (Tours, 1279)

    Claude Andrault-Schmitt

     

    Les fondations de Notre-Dame

    Olivier de Châlus

     

    Les arcs-boutants de Notre-Dame

    Olivier de Châlus

     

    Les chapelles de Notre-Dame

    Sabine Berger

     

    Quelles armatures de fer à Notre-Dame ?

    Maxime L'Héritier et Philippe Dillmann

     

    La question de la datation des voûtes

    Olivier de Châlus

     

    L'allongement des bras du transept

    Yves Gallet et Markus Schlicht

     

    Structure et voûtement : l’invention architecturale dans les années 1160

    Claude Andrault-Schmitt

     

    Le transept de Notre-Dame et ses roses rayonnantes

    1. L’allongement des bras du transept

    2. La rose nord

    3. La rose sud

    4. Perspectives d'études

    Yves Gallet et Markus Schlicht

     

    Les roses de Notre-Dame et l’Europe – transmission et transformations

    Marc Carel Schurr et Daniel Parello

     

    Les vitraux de Notre-Dame : un ensemble composite

    Caroline Blondeau-Morizot

     

    La rose occidentale

    Sophie Lagabrielle

     

    Viollet-le-Duc et la polychromie à Notre-Dame de Paris

    Anne Vuillemard-Jenn

     

    La polychromie de la façade occidentale

    Anne Vuillemard-Jenn

     

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  • A propos de la charpente de Notre-Dame de Paris

    1) Etat des recherches en dendrochronologie

    G.-N. Lambert, P. Hoffsummer, V. Bernard, V. Chevrier

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    Environ 70 prélèvements ont été réalisés par les dendrochronologues Vincent Bernard (Rennes, UMR 6566 CReAAH), Patrick Hoffsummer (Université de Liège) et Georges-Noël Lambert (Chercheur honoraire du CNRS et Collaborateur de l’université de Liège) de 1991 à 1994.

    La moyenne des âges cambiaux des arbres employés est autour de 100 ans, au maximum 120 ans.

    Quarante neuf échantillons en chêne datent de la fin du XIe siècle (date d’abattage la plus ancienne en 1156, cambium conservé) au XVIIIe siècle. La majorité de la charpente datait du XIIIe siècle (avant 1226), à l’exception de :- la flèche de Viollet-le-Duc,- un lot de remplois du XIIe siècle, regroupés notamment vers la façade ouest,- une reprise XIVe siècle, autour de 1360,- une réparation au début du XVIIIe siècle, autour de 1725.

    La charpente du chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris n’était pas la charpente primitive. Elle intégrait des remplois datés autour de 1160 et 1170, qui pourraient provenir d’une première étape du chantier.

    Ces résultats, ainsi qu’un relevé des marques de charpentier ont été consignés dans un mémoire de DEA par Virginie Chevrier

    Référence

    Virginie CHEVRIER, « La charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris à travers la dendrochronologie », mémoire de DEA en histoire de l’art et archéologie médiévale, Université Paris IV, 2 vol., 1995

     

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    Mise en ligne le 25 avril 2019

  • A propos de la charpente de Notre-Dame de Paris

    2) Un chaînon important pour l’histoire des toitures médiévales en Europe

    P. Hoffsummer

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    Les datations dendrochronologiques (voir fiche 1) acquises de 1991 à 1996 ont été intégrées dans le Corpus tectorum des charpentes du nord de la France et de Belgique, publié par les éditions du patrimoine en 2002 . Ce catalogue raisonné, suivi d’une synthèse sur l’évolution des charpentes de toiture dans le nord de la France et la Belgique du XIe au XIXe siècle, comprend près de 300 études de toitures hiérarchisées à l’aide, notamment, de relevés disponibles à la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine (Ministère de la Culture), dont ceux des charpentes de Notre-Dame, par Eugène Viollet-le-Duc, puis Henri Deneux. Les toitures de Notre-Dame y tiennent une place importante en tant qu’exemples de charpentes à chevrons formant ferme divisées en travées. Elles présentent la spécificité d’avoir des fermes principales dont l'entrait est tenu par un système de suspension, caractéristique de l’inventivité des charpentiers du XIIIe siècle, système que l’on retrouve notamment dans les cathédrales de Meaux et d’Auxerre.

    En 2009, la toiture de Notre-Dame, surnommée par les charpentiers la « Forêt de Notre-Dame », tant la quantité de bois mis en oeuvre y était importante, a été visitée par un groupe international de chercheurs dans le cadre d’un projet européen « Culture 2000 » intitulé « Toits de l’Europe ». La Médiathèque de l’Architecture du Patrimoine et la Cité de l’architecture participaient à ce programme, notamment dans le cadre d’une exposition au Palais de Chaillot où le public a pu admirer une collection de maquettes de charpentes anciennes, dont celles de Notre-Dame. Dix ans plus tard, la communauté de ces chercheurs est donc particulièrement émue par la perte de ce maillon essentiel à propos de l’histoire des charpentes en Europe.

     

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    Mise en ligne le 25 avril 2019

  • A propos de la charpente de Notre-Dame de Paris

    3) Les bons gestes après la catastrophe

    G.-N. Lambert, P. Hoffsummer, V. Bernard, V. Chevrier

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    Les données dendrochronologiques acquises de 1991 à 1996 sont en train d’être mises à jour et ont été transmises à plusieurs dendrochronologues français afin d’assurer leur sauvegarde. En effet, concernant l’ensemble des laboratoires francophones, faute d’une organisation adéquate de la mise en commun des données dendrochronologiques, le risque de disparition à court terme de dizaines d’années de travail est très grand.

    Au lendemain de la catastrophe, les bois brûlés accumulés dans les décombres conservent un potentiel scientifique très important, notamment pour développer davantage la recherche en dendrochronologie.

    On peut se réjouir que la campagne de 1991 – 1996, liée à une activité de recherche dans un cadre académique, avait permis de récolter 70 échantillons alors qu’une simple campagne « de service » s’en serait contenté de moins. Le potentiel de tels édifices, à propos de l’évolution complexe d’un chantier médiéval, de l’histoire des forêts anciennes, ou celle du climat, est toutefois bien supérieur. Les campagnes récentes à Beauvais ou à Bourges ont récolté entre 150 et 300 bois. En temps « normal » on se serait satisfait, à Notre-Dame, des 70 premiers échantillons comptant sur la possibilité de retourner sur site pour des études plus approfondies. C’est le cas de toutes les toitures qui constituent une forme de réserve précieuse pour la science. La récente catastrophe change brutalement la donne. Sans baisser les bras, il conviendrait d’échantillonner de manière méthodique le matériel encore disponible dans les décombres après l’incendie. Une démarche qu’il faudra susciter avec insistance.

     

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    Mise en ligne le 25 avril 2019

  • Les matériaux des charpentes : fonte et béton

    Arnaud Timbert

    La charpente en béton de la cathédrale de Noyon

    Le 1er avril 1918, sous le feu de l’artillerie française, la charpente de la cathédrale de Noyon est incendiée. En 1936, fort des expériences des architectes Deneux à Reims (cathédrale), Brunet à Soissons (cathédrale) et à Saint-Quentin (collégiale) l’architecte Collin choisit d’ériger une charpente en béton. Son choix est motivé : 1 – par une carence relative du bois d’œuvre dans la partie nord-est du pays; 2 – par la possibilité de réaliser une structure plus légère que la charpente en chêne antérieure et ménageant ainsi les maçonneries ébranlées par le sinistre; 3 – par une exécution plus rapide et moins coûteuse en matériaux comme en main d’œuvre. C’est donc le bon sens et l’adaptation de l’architecte au contexte économique, structurel et écologique qui orientèrent son choix.

    Arnaud TIMBERT, « La charpente en béton de la cathédrale de Noyon », La cathédrale Notre-Dame de Noyon : cinq années de recherches, dir. A. Timbert, coll. S. D. Daussy, Mémoires de la Société historique et archéologique de Noyon, vol. 39, 2011, p. 159-170.

     

    La charpente en fonte de la cathédrale de Chartres

    Le 4 juin 1836, les braises d’un brasero de plombier entretenant les couvertures en plomb de la cathédrale se sont introduites dans les combles du haut vaisseau. L’ensemble a été détruit en quelques heures. Après l’émotion et de multiples discussions qui sont tout à fait identiques à celles que nous connaissons autour de Notre-Dame de Paris aujourd’hui - jusqu’au pathos des prières - il a été convenu, notamment pour des raisons économiques, de ne pas ériger une charpente en bois mais de privilégier les matériaux produits par l’industrie contemporaine. Dès 1837, la solution de l’architecte Martin et du serrurier Mignon est privilégiée avec le soutien de Vitet : il s’agit d’une solution mixte à fonte et acier qui s’inscrit dans la continuité des premières expériences dans le domaine (notamment la charpente en fer de l’abbatiale de Saint-Denis au début des années 1844-1845) et du cuivre pour la couverture. Dans les deux cas il s’agit d’un choix motivé par les arguments économique et physique (le caractère a priori incombustible des matériaux).

    S. D. DAUSSY, « De l’apport du Dictionnaire de Viollet-le-Duc à la connaissance de l’ancienne couverture en plomb », Chartres. Construire et restaurer la cathédrale XIe-XXIe s., dir. A. Timbert, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014, p. 335-359.

     

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    Mise en ligne le 26 avril 2019

  • Les matériaux de charpente chez Viollet-le-Duc

    1. Charpentes en bois ou en métal ?

    Arnaud Timbert

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    Viollet-le-Duc a souvent critiqué la mauvaise connaissance du bois, surtout chez les architectes : « La nature s’est, je crois, fort peu préoccupée de savoir si le chêne, le sapin nous seraient bons à quelque chose ; et si l’intelligence humaine a su tirer parti de ces matériaux qui croissent devant nos yeux, c’est après avoir reconnu et constaté par l’expérience leurs propriétés. Malheureusement il semblerait que les résultats de cette expérience ne tendent pas à s’accroître, et, à voir la façon dont on emploie le plus habituellement ces bois aujourd’hui, on pourrait admettre que nous sommes moins instruits que nos devanciers ou que nous avons perdu cette habitude de l’observation avec laquelle ils étaient familiers. » Aussi, en invitant « les savants » (archéologues et historiens) à rencontrer les praticiens (charpentiers et menuisiers) et en suggérant aux praticiens d’abandonner leurs vieilles habitudes en revigorant leurs connaissances à l’écoute des « savants », Viollet-le-Duc a joué pour le bois un rôle peut-être plus important que pour tout autre matériau ; et pourtant, il est particulièrement hésitant dans son usage, notamment en charpenterie.

     

    Dans le domaine Viollet-le-Duc recourt le plus souvent au système hybride à fer et bois (système Polonceau) à Vézelay, Sens et Beaune. Il est à cet égard en marge de ses contemporains qui érigent des charpentes en fer dès les années 1820-1830 à l’église de La Madeleine, à la basilique Saint-Denis (1844-1845) ou encore à l’église Sainte-Clotilde de Paris (1857) pendant que la fonte et le cuivre couvrent le haut vaisseau de la cathédrale de Chartres dès après 1837. Viollet-le-Duc semble à ce point réservé sur l’emploi du métal que s’il décide, avec Lassus, de couvrir les bas-côtés de la galerie du chœur de Notre-Dame de Paris à l’aide de fermes métalliques, il opte néanmoins pour une réfection en bois des charpentes des bras du transept et des travées adjacentes. Toutefois, la charpente réalisée par les deux architectes n’est pas une reproduction des structures antérieures des bras du transept non plus que de celles de la nef et du chevet mais une réalisation synthétisant les innovations techniques apportées dans le domaine entre la deuxième moitié du XIIIe siècle et la fin du XVe siècle. S’il y a perfectionnement ou innovation ici, ils sont d’ordre syncrétique. Plus tard, dans son dernier chantier, à la cathédrale de Lausanne, Viollet-le-Duc fait le choix de la charpente en bois au détriment d’une expérience innovante.

    La même hésitation est à noter pour les édifices qu’il construit : aux églises d’Aillant-sur-Tholon (Yonne) et à Saint-Denis-de-l’Estrée (Seine-Saint-Denis), en 1866 et 1867, il lance une charpente à système Polonceau où le bois domine alors qu’il opta avec Lassus, dès 1848, pour une charpente métallique à la sacristie de Notre-Dame. Viollet-le-Duc, à l’image de sa période, semble ainsi tiraillé entre la tradition et l’innovation technologique ce qui, parfois, le confine, comme pour s’extraire de ce conflit intérieur, à des propositions audacieuses telles que les fermes en brique et entraits métalliques du haut vaisseau de la cathédrale de Clermont (1872), ou encore la couverture en zinc (proposition) de la Madeleine de Vézelay (1840). Le château de Pierrefonds résume l’ensemble de ses exemples par un passage du tout bois entre 1857-1863 au tout fer, à partir de 1864.

     

    Références :

    A. Timbert, Restaurer et bâtir : Viollet-le-Duc en Bourgogne, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Architecture & Urbanisme », 2013, p. 156-161.

    A. Timbert, Viollet-le-Duc et Pierrefonds : Histoire d’un chantier, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Documents & Témoignages », 2017, p. 180-210.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Les matériaux de charpente chez Viollet-le-Duc

    2. Choix des essences et travail du bois

    Arnaud Timbert

    Pour le château de Pierrefonds, comme pour les autres chantiers de Viollet-le-Duc, peu d’informations nous sont transmises sur le choix des essences, sur leur provenance et sur les outils employés pour façonner les bois. Tout au plus sait-on que Viollet-le-Duc ne souhaitait, pour la charpente notamment : « […] en aucune façon employer les bois de Villers-Cotterêts, mais bien ceux de Champagne », sans qu’il ait justifié les raisons de ce choix déjà imposé pour la flèche de Notre-Dame de Paris. Pour le reste les mémoires, notamment à Pierrefonds et Vézelay, dévoilent un usage classique de ce matériau.

    Les échafaudages sont à essence mixte de sapin, de peuplier et de bois « de l’administration » tandis que quelques pièces sont faites à l’aide de « vieux bois » remployés de diverses structures. Les lames de plomb des chéneaux, des crêtes de faîtage et des noues sont fixées, ainsi qu’à Notre-Dame sur du chêne « de sciage non raboté », tandis que les voliges sont tantôt en sapin brut ou le sapin dit « rouge du Nord », tantôt en peuplier. Les outils employés sont rarement mentionnés ; l’observation des bois de charpente des tours Hector et Godefroi (Pierrefonds) comme des courtines révèle un emploi généralisé de la scie et du rabot. Les mêmes observations peuvent être faites dans les charpentes de Saint-Denis-de-L’Estrée, du château de Pupetières, ou de l’église d’Aillant-sur-Tholon. La mécanisation des scieries, la livraison des bois calibrés et taillés, voire de charpentes préfabriquées, témoignent dans le domaine d’une organisation déjà très éloignée des méthodes médiévales.

     

    Références :

    A. Timbert, Restaurer et bâtir : Viollet-le-Duc en Bourgogne, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Architecture & Urbanisme », 2013, p. 156-161.

    A. Timbert, Viollet-le-Duc et Pierrefonds : Histoire d’un chantier, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Documents & Témoignages », 2017, p. 180-210.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Les frères Durand et la plomberie d’art de Notre-Dame au XIXe siècle

    Arnaud Timbert et Stéphanie-Diane Daussy

    Dès 1844, les architectes Lassus et Viollet-le-Duc proposent une restauration de la flèche qui ornait la croisée du transept jusqu’en 1792. Ils élaborent un projet sur le fondement d’un dessin de Garneray. Lassus, dans un premier temps favorable, est cependant dubitatif sur la valeur archéologique du document. Viollet-le-Duc se charge d’exécuter l’œuvre, en 1859, deux ans après le décès de son confrère. Pour cette réalisation il fait appel, outre Geoffroy-Dechaume pour la sculpture et Auguste Bellu pour la charpente à Louis-Jacques Durand pour la plomberie.

    Pour faire revivre la plomberie d’art et approvisionner ses chantiers en pièces de qualité – tables, épis et crêtes de faîtage – Viollet-le-Duc « […] a été secondé par un homme intelligent et, chose plus rare, disposé à laisser de côté les routines, M. Durand, [le premier a avoir] rendu à cette belle industrie une partie de sa splendeur. » Louis-Jacques Durand (1818-1860) et son frère, Antoine-Jérôme (1820-1870) héritent de l’entreprise de plombier fontainier fondée par leur père au 29 rue Saint-Nicolas-d’Antin à Paris. A partir de 1854 Louis-Jacques, à la tête de l’entreprise, élargit son champ de compétence au plomb d’art repoussé. Il est chargé durant cette décennie et la suivante de divers chantiers de premier plan parmi lesquels la flèche de la cathédrale d’Amiens (sous les ordres de Viollet-le-Duc), celles de la collégiale Notre-Dame-en-Vaux de Châlons-en-Champagne ainsi que la flèche de la basilique Saint-Nicolas de Nantes (sous les ordres de Lassus). Il est par ailleurs associé à la réalisation de la flèche de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans (sous les ordres de Boeswillwald) et aux restaurations du château de Blois à partir de 1857, où il figure comme « plombier d’art » (sous les ordres de Duban). Enfin, il s’est tout particulièrement illustré à la Sainte-Chapelle ainsi qu’à Notre-Dame de Paris où il exécute la crête du faîtage et les plomberies de la flèche ainsi que la couverture et les ornements de la sacristie. C’est avec certaines de ces réalisations, notamment les statues et ornements en plomb repoussés de la Sainte-Chapelle et le poinçon de la chapelle Sainte-Theudosie de la cathédrale d’Amiens – dessiné par Viollet-le-Duc – que Durand obtient une médaille de 1ère classe à l’Exposition universelle de 1855. Comme l’écrit Émile Amé, avec qui il travaille pour la création de la flèche de Saint-Martin de Chablis, Durand a ainsi sans relâche « poursuivi avec amour l’art du plombier sous toutes ses faces et l’a fait positivement renaître. » Aussi la renommée de l’entrepreneur s’évalue-t-elle à la lecture d’un mémorialiste mondain comme Horace de Vieil-Castel qui mentionne l’élévation de l’artisan au grade de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur (1857), quand il évoque, du bout des lèvres, les architectes de son temps. Viollet-le-Duc ne pouvait solliciter un autre artisan pour Notre-Dame ; c’est à ce compagnon qu’il fit appel pour les travaux de couverture et de plomberie avant son remplacement par Monduit.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • L’architecte et le charpentier d’une cathédrale achètent des bois sur pied avec la caution financière du verrier (Tours, 1279)

    Claude Andrault-Schmitt

    On a la chance d’avoir conservé l’original d’un contrat par lequel un maître d’œuvre, Etienne de Mortagne, et son charpentier, Lucas, achètent aux chanoines de la cathédrale de Tours les chênes d’une parcelle leur appartenant. Une plus grande chance encore d’avoir sous les yeux la charpente correspondante, qui est celle du bras sud du transept, datée par dendrochronologie et représentant une extension somptuaire et non prévue de l’église – le transept de Notre-Dame de Paris avait fait des émules. Le document, dont des extraits sont traduits ci-dessous, est riche de plusieurs enseignements :

    1- Les chanoines négociaient plutôt qu’ils ne donnaient. Il est cependant possible qu’ils aient fait planter cette parcelle de chênes (serrés, un peu comme on plante des poireaux) une trentaine d’années auparavant, en prévision des nécessités de la toiture de leur cathédrale, juste à temps pour pouvoir disposer de grumes d’une section convenable (c’est-à-dire faible) pour les chevrons et poinçons.

    2- L’architecte était un entrepreneur au sens vertical du terme. Il achetait carrières et bois, recrutait les praticiens, engageait ses biens en espérant recevoir une rente suffisante sous la forme d’un salaire et d’avantages en nature (maison, vêtements…) - mais il existe des cas de faillite.

    3- Face à la nécessité de réunir des sommes importantes, les maîtres de différents corps de métier, dont nous savons par ailleurs qu’ils étaient voisins, occupant des maisons proches du chantier, étaient financièrement solidaires : architecte lapicide, charpentier, verrier, lapicide en second.

    4- Ici on a pratiqué une coupe claire d’une durée de 5 ans pour une utilisation immédiate.

    « Constitués en droit par devant nous, Étienne de Mortagne, lapicide et maître d’œuvre de la cathédrale, et Lucas, dit Le Bûcheron, ont confessé avoir acheté aux vénérables doyen et chanoines de Tours tous les arbres de trente quatre arpents des bois appartenant aux dits doyen et chapitre. Ces bois sont appelés Bois de Saint-Maurice, et situés dans la paroisse de Saint-Branchs […] Tout arpent est au prix de 16 livres. De la somme totale, les susdits Étienne et Lucas et chacun d’entre eux solidairement promettent de payer 100 livres d’ici la prochaine fête de saint Maurice, et 100 livres avant la même fête l’année suivante, et ce chaque année avant la dite fête jusqu’à ce que tout le prix indiqué soit acquitté intégralement. Contrat a également été passé entre ces acheteurs d’une part et ces vendeurs de l’autre, selon lequel les acheteurs s’acquitteront dans le dernier terme du paiement de tout le reste du prix susdit excédant 100 livres (soit 144 livres). Ces acheteurs promettent et se sont obligés à vendre, exploiter, enlever

    tout le bois qu’ils ont acheté dans un délai de cinq ans à compter de la mi-mai prochaine. Eux et chacun d’eux solidairement promettant même de restituer et

    rembourser toute perte et préjudice, […] eux-mêmes et chacun d’entre eux ayant obligé par la foi solidairement leurs héritiers et tous leurs biens réellement. D’ailleurs, constitués en droit devant nous, de manière présente, maître Simon dit du Mans, lapicide, et Richard le [Verrier], avouant que toutes les conditions et les choses qui leur ont été exposées avec précision étaient vraies, s’établissent tous et chacun d’eux solidairement les cautions et principaux débiteurs. »

     

    Archives départementales de l’Indre-et-Loire, G 68

     

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    Mise en ligne le 15 mai 2019

  • Les fondations de Notre-Dame

    Olivier de Châlus

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    Deux enjeux concernent les fondations de Notre-Dame de Paris.Le premier est de maîtriser l’incidence de leur réalisation dans la chronologie du chantier. Le décalage entre les dates de démarrage des projets, que l’on connaît généralement, et la pose des colonnes, dépend du temps pour les établir. Il est donc impératif de savoir l’évaluer. À Notre-Dame de Paris, deux sondages nous sont connus de l’époque moderne, évoquant des massifs maçonnés d’une profondeur entre six et neuf mètres. Ces données sont cohérentes avec la profondeur donnée par Viollet-le-Duc aux fondations de la sacristie ou à ce que l’on sait de celles de l’Hôtel-Dieu médiéval. Elles ont par ailleurs pu alors être confirmées par l’analyse des données géologiques et géotechniques disponibles auprès du BRGM. Les fondations de la cathédrale semblent donc appuyées sur les alluvions anciennes de la Seine à l’altimétrie de 26 m NGF, cote du débit d’étiage de la Seine à neuf mètres sous le parvis actuel. En moyenne, l’altimétrie médiévale urbaine était par ailleurs un à deux mètres sous le niveau actuel du parvis.Le second enjeu est d’identifier des fondations existantes et non chargées pour pouvoir, dans les semaines et mois à venir, s’affranchir de travaux de fondations invasifs dans des terrains anthropiques. Viollet-le-Duc a affirmé qu’initialement, la cathédrale ne disposait pas de transept. Il s’appuie sur la découverte de massifs de fondations dans cette zone. Malgré les travaux de Caroline Bruzelius qui allaient dans ce sens, cette hypothèse a été écartée par la communauté scientifique. Pourtant, de nombreux éléments corroborent cette hypothèse. En particulier, le fait que la travée la plus occidentale du chœur est anormalement plus large que n’importe quelle autre et que le transept attenant est lui-même plus large que la nef. Comme indiqué sur le schéma ci-dessus, le cumul de ces deux espaces correspond en réalité à celui qu’occupaient exactement quatre travées régulières du reste de l’édifice, démolies pour l’insertion du transept aligné sur la face ouest des escaliers des tribunes. Les fondations correspondantes doivent être en place.L'explication des différences entre les élévations est et ouest du transept en découle. La première s’appuie sur des fondations robustes spécifiquement construites ; la seconde reprend des fondations existantes et moins volumineuses des travées courantes de la nef. Ses piliers sont donc plus compacts pour s'y adapter. On peut par ailleurs en déduire que les fondations ne sont pas faites d’une grille maçonnée.

     

    Éléments bibliographiques :Base de données de sol du BRGM www.infoterre.brgm.frPhilippe Bernardi, Bâtir au Moyen Âge, 2011Alain Erlande-Brandenburg, Notre-Dame de Paris, 1997Olivier de Châlus, Thèse de doctorat, en préparation sous la direction de Philippe Bernardi

     

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    Mise en ligne le 29 avril 2019

  • Les arcs-boutants de Notre-Dame

    Olivier de Châlus

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    La configuration d’origine des arcs-boutants de Notre-Dame de Paris constitue la question historiographique la plus tenace de la cathédrale. Cinq théories a minima se sont succédé depuis Viollet-le-Duc sur le mode de contrebutement initial de la cathédrale. Elles s’articulent autour de deux questions : des arcs-boutants étaient-ils prévus à Notre-Dame de Paris dès le XIIe siècle et, si oui, de quel type étaient-ils avant d’être remplacés, au XIIIe siècle, par des arcs-boutants dont la morphologie correspond à celle que l’on connaît aujourd’hui.Cette question semble avoir été tranchée par Andrew Tallon par l’analyse des déformations, le conduisant à conclure que des arcs-boutants étaient en place au moment du voûtement de la cathédrale. Deux questions restent pourtant en suspens : pourquoi les arcs-boutants de la cathédrale ont cette particularité d’enjamber les deux vaisseaux latéraux d’une seule volée et, parmi eux, comment expliquer la singularité de la culée intermédiaire de l’arc-boutant des Rois-Mages, situé au nord-ouest du chœur.En réalité, l’enjambement d’une seule volée semble avoir été la règle dans le cas d’églises à double bas-côté – comme à Saint-Rémi de Reims – avant que les culées intermédiaires n’apparaissent sur les chantiers de Chartres et de Bourges au milieu des années 1190. Jusqu’à cette date, les colonnes inter-bas-côtés étaient trop frêles pour supporter un tel dispositif. Ce n’est qu’à partir de la toute fin du XIIe siècle que ces colonnes ont été épaissies permettant la mise en œuvre d’arc-boutant à double enjambement qui devint alors la règle. Seule exception à ma connaissance à cette chronologie : le cas de Saint-Denis, où les arcs-boutants au XIIIe siècle surplombent des bas-côtés du XIIe siècle.L’arc-boutant des Rois-Mages, quant à lui, repose sur une pile inter-bas-côté plus épaisse et plus tardive que pour les autres cas. Il correspond donc, contrairement à ce que disaient certains auteurs, à un cas plus tardif et non à la configuration initiale de contrebutement de la cathédrale ; mais pourquoi ? L’histoire de l’édifice abordée sous l’angle des techniques ouvre donc d’autres questions, et trace de nouveaux chemins vers la connaissance des édifices anciens… Éléments bibliographiques :Andrew Tallon, La technologie 3D au service de Notre-Dame, dans la grâce d’une cathédrale : Notre-Dame de Paris, 2013Olivier de Châlus, Thèse de doctorat (en préparation sous la direction de Philippe Bernardi

     

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    Mise en ligne le 29 avril 2019

  • Les chapelles de Notre-Dame

    Sabine Berger

    Si la couronne de chapelles du chevet, tout comme les chapelles latérales de la nef, n’ont pas été directement impactées par l’incendie du 15 avril 2019, leur état général appelle toutefois de sérieuses réfections dans les années à venir. Au XIIIe siècle, le parti architectural initial de Notre-Dame fut modifié par l’édification de chapelles sur l’ensemble de son pourtour, un phénomène partagé par bien d’autres églises tout au long du Moyen Age. Adjointes aux édifices religieux, les chapelles constituent des oratoires privés à l’usage de familles nobles ou bourgeoises, de confréries ou de membres du clergé local qui peuvent participer au financement de leur construction ou y instituer et doter des chapelains chargés de célébrer des messes en leur mémoire ; certains fondateurs privilégiés peuvent également s’y faire inhumer. Le terme « chapelle » – capella, en latin – connaît plusieurs acceptions, cette polysémie soulevant de fréquentes difficultés d’interprétation : édicule secondaire greffé à l’édifice principal, autel associé à une dotation perpétuelle destinée à l’entretien d’un desservant (on parle alors plus communément de « chapellenie », un bénéfice ecclésiastique), ensemble des desservants attachés à un oratoire ou ensemble des instruments liturgiques essentiels au culte. Il est possible d’établir une chronologie relative de l’édification des chapelles de la cathédrale grâce aux dates de fondation de chapellenies qui nous sont parvenues : il faut cependant bien différencier les sommes consacrées aux chapelains, dont le détail apparaît dans les actes de fondation, de celles vouées à la construction effective des chapelles, émanant rarement des fondateurs, contributeurs éventuels aux travaux financés et conduits par le chapitre cathédral. A Notre-Dame, les chapelles ont été progressivement bâties, d’abord le long des bas-côtés de la nef puis autour du chœur (travées droites et rond-point), entre les années 1220 et la fin du premier tiers du XIVe siècle. Les quatorze chapelles (c. 1225-1245/1250) de la nef ouvrent sur les collatéraux externes. Elles ont toutes été édifiées dans un espace prédéterminé défini par l’intervalle compris entre deux contreforts, ces derniers devenant les parois latérales des chapelles. Afin de maintenir un éclairage adéquat, ces chapelles ont été percées de vastes baies à meneaux. Les chapelles les plus proches des bras du transept ont été attribuées tantôt à Jean de Chelles, tantôt à Pierre de Montreuil tandis que les plus occidentales sont dues à un maître d’œuvre inconnu. Après l’allongement du transept au milieu du XIIIe siècle, entamé par Jean de Chelles, ont été aménagées les chapelles du chœur et de l’abside (cinq chapelles droites au nord comme au sud et cinq chapelles rayonnantes plus dilatées), toujours entre les contreforts : Jean de Chelles († 1258) puis Pierre de Montreuil († 1267) se sont vraisemblablement attelés à la conception de la majorité des chapelles des travées droites du chœur – la question demeure délicate ; Pierre de Chelles, puis son successeur Jean Ravy, sont responsables des chapelles rayonnantes (chapelle d’axe et chapelles adjacentes) ainsi que des dernières chapelles droites du chœur (c. 1296-1320/1330). Isolées des espaces de circulation par de minces grilles de fer, richement ornées de vitraux historiés, de statues et de peintures, pourvues d’objets liturgiques précieux et illuminées de cierges, les chapelles de Notre-Dame de Paris comptent parmi les plus précoces constructions de ce type et ont contribué à offrir à la cathédrale sa physionomie définitive. Elles devraient pouvoir bénéficier à nouveau de l’attention des chercheurs à la faveur des restaurations qui s’annoncent.

     

    Orientation bibliographique :

    Aubert (Marcel), Notre-Dame de Paris. Sa place dans l’histoire de l’architecture médiévale du XIIe au XIVe siècles, Paris, H. Laurens, 1920.Berger (Sabine), « Les initiatives particulières » et « Les chapelles latérales », Notre-Dame de Paris, dir. Mgr André Vingt-Trois, Place des Victoires/La Nuée Bleue (La grâce d’une cathédrale), Strasbourg, 2012, p. 38-39 et p. 100-106.Bruzelius (Caroline), « The construction of Notre-Dame in Paris », The Art Bulletin, t. 69, n° 4, décembre 1987, p. 540-569.Davis (Michael T.), « Splendor and Peril : the Cathedral of Paris, 1290-1350 », The Art Bulletin, t. 80, n° 1, mars 1998, p. 34-66.Freigang (Christian), « Chapelles latérales privées : origines, fonctions, financement. Le cas de Notre-Dame de Paris », Art, cérémonial et liturgie au Moyen-Age, actes du colloque 3e cycle romand de Lettres, Lausanne-Fribourg, 24-25 mars, 14-15 avril et 12-13 mai 2000, Viella (Etudes lausannoises d’histoire de l’art, 1), Rome, 2002, p. 525-544.Kraus (Henry), « New documents for Notre-Dame’s early chapels », Gazette des Beaux-Arts, sér. 6, t. 74, 1969, p. 121-134.Sandron (Dany) et Tallon (Andrew), Notre-Dame de Paris, neuf siècles d’histoire, Parigramme (Guides thématiques), Paris, 2013.

     

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    Mise en ligne le 30 avril 2019

  • Quelles armatures de fer à Notre-Dame ?

    Maxime L'Héritier et Philippe Dillmann

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    La question de l'usage du fer à Notre Dame de Paris n'a jamais fait l'objet d'études précises contrairement aux autres grandes cathédrales françaises comme Amiens, Beauvais, Bourges, Chartres. C’est un manque quand on connaît le rôle joué par ce métal dans la structure des grandes cathédrales gothiques.

    La principale source d’information date du XIXe siècle avec les rapports des travaux de Lassus et les remarques consignées dans le dictionnaire de Viollet-Le-Duc. Il rapporte que la grande corniche à damiers qui couronne le chœur de la cathédrale de Paris, et qui dut être posée vers 1195, se compose de trois assises de pierre dure formant parpaing, dont les morceaux sont tous réunis ensemble par deux rangs de crampons.

    Les archives des travaux de la commission des documents historiques pour l’année 1846 rapportent que Lassus a adopté un nouveau mode de chaînage par grandes parties consolidant les deux assises supérieures. Certainement celui que l’on voit de l’extérieur ceignant le haut du chevet. Ces éléments du XIXe n'ont jamais été étudiés et sont certainement cruciaux pour la tenue actuelle du bâtiment.

    La restauration est l'occasion de mener cette enquête indispensable pour comprendre l'usage et le rôle de ce métal dans la structure de la cathédrale, dans les parties hautes mais aussi dans les parties médianes et basse, jamais explorées, en particulier les grandes roses. Rappelons qu'en 2009 un double chaînage du XIIIe siècle inconnu jusqu’alors a été découvert lors de travaux au sommet du mur gouttereau de la nef de la basilique de Saint Denis et qu’en 2015, d’imposants cerclages étaient découverts dans la rose occidentale de la cathédrale de Reims.

    Bibliographie :

    Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, Édition Bance-Morel, 1854-1868, tome 2, p. 400.

    Jean-Michel Leniaud, Jean-Baptiste Lassus, 1807-1857, ou, Le temps retrouvé des cathédrales, Genève, Droz, p. 101

     

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    Mise en ligne le 22 avril 2019

  • La question de la datation des voûtes

    Olivier de Châlus

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    La chronique de Guillaume le Breton nous rapporte qu’en 1218 un homme, caché dans les combles du chœur, enflamma des tentures en tentant de dérober, avec des cordes et des crochets, des chandeliers allumés sur le maître autel. Si cet événement relaté l’année même de sa survenue est vrai, alors les voûtes du chœur ne pouvaient pas être posées à cette date ; elles auraient en effet empêché son larcin. Pourtant, tous les auteurs qui ont travaillé sur la question du chantier de Notre-Dame de Paris ont considéré que les voûtes du chœur devaient être en œuvre au moment de sa consécration, c’est-à-dire en 1182…

    Cet événement anecdotique d’apparence est en fait d’une grande importance. Il remet tout d’abord en question la date, très centrale dans l’historiographie de Notre-Dame de Paris, de la pose des voûtes du chœur. Ensuite, il met en lumière le choix fait d’une cohabitation entre chantier et liturgie, choix dont il faut étudier les conséquences, tant à Notre-Dame que dans d’autres édifices. Enfin, les voûtes du chœur seraient au moins de trente-six ans plus récentes que supposées, soit entre un tiers de siècle et un demi-siècle. L’hypothèse de choix tardif de bâtir un transept, soulève également la question de la temporalité de la pose de ses voûtes, dont beaucoup d’éléments sont aujourd’hui au sol et donc analysables.

    Une étude pétrographique et tracéologique pourrait éclaircir cette question. Par ailleurs, les relevés photographiques très haute définition réalisés par Cyril Preiss ont permis de constater que les voûtes de Notre-Dame de Paris ont conservé des faux joints et des traces de polychromie, peut-être médiévaux, au niveau du transept et de l’intérieur du massif occidental (voir figure ci-dessus). Une cartographie et une étude stratigraphique de ces enduits résiduels permettraient de mieux comprendre les campagnes de travaux correspondantes, d’en estimer de premières datations, notamment en les comparant avec la polychromie de la façade qui a fait l’objet d’étude dans les années 90, et d’analyser les interventions réalisées sur les voûtes de la cathédrale au cours de son histoire, comme par exemple ce projet de transformation de la voûte de la croisée au début du XVIe siècle.

     

    Éléments bibliographiques :

    Sylvie Demailly, L’étude de la polychromie de la façade occidentale, Monumental, 2000.

    Cyril Preiss, Relevé de la rose sud de Notre-Dame de Paris – www.gigascope.net

    Olivier de Châlus, Thèse de doctorat, en préparation sous la direction de Philippe Bernardi

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • L'allongement des bras du transept

    Yves Gallet et Marlus Schlicht

    Aux alentours du milieu du XIIIe siècle, la physionomie de Notre-Dame telle qu’elle avait été conçue dans les années 1160 avait significativement évolué. Le corps de la cathédrale était entièrement sorti de terre, mais à partir des années 1220, des travaux de transformation avaient été entrepris dans la nef : amélioration de l’éclairage du vaisseau central par l’allongement des fenêtres hautes, reprise des tribunes et du système de contrebutement, adjonction de chapelles latérales entre les contreforts des bas-côtés. La création de ces dernières, qui élargissaient au sol l’emprise de la nef, menaçait de faire apparaître les façades nord et sud du transept en retrait de l’alignement du mur des bas-côtés : c’est la raison que les historiens de Notre-Dame ont avancée pour expliquer la décision qui fut prise alors d’ajouter une travée, donc une nouvelle façade, à chacun des bras du transept. On ne peut exclure d’autres facteurs : recherche de prestige de la part du clergé (les chanoines accédaient à la cathédrale par le portail du bras nord, l’évêque par celui du bras sud), concurrence avec la Sainte-Chapelle dans le paysage urbain, rivalité avec l’abbatiale de Saint-Denis, où les façades du transept avaient été édifiées peu de temps auparavant. Avec leur composition tripartite – portail, triforium ajouré, grande rose rayonnante –, les façades de Notre-Dame prennent en effet modèle sur celles de Saint-Denis. On peut supposer que l’architecte de la cathédrale eut pour consigne de surpasser les façades de la grande abbaye royale, éternelle rivale de la cathédrale. Sans doute pour la première fois dans l’architecture gothique, il conçut une façade, qui, au lieu de simplement superposer les niveaux, les fusionne tous en un tableau unique. La composition brillante qu’il élabora, impensable sans un recours généralisé au nouveau medium qu’était alors le dessin architectural, constitua aussitôt une référence incontournable pour l’architecture gothique à l’échelle européenne.

     

    Les travaux, menés dans les décennies 1250 et 1260, correspondent à la période d’activité documentée de Jean de Chelles puis de Pierre de Montreuil. Il faut y ajouter par la pensée la première flèche de Notre-Dame, peut-être dessinée elle aussi par l’un ou l’autre de ces deux architectes.

     

    Les façades sont conçues l’une et l’autre sur le même schéma tripartite : un portail, étendu visuellement à l’ensemble de la partie inférieure par une série de gâbles élancés ; au niveau intermédiaire, un triforium vitré, caractéristique du style gothique rayonnant ; une vaste rose qui occupe toute la largeur de la travée. L’ensemble est surmonté d’un pignon triangulaire, agrémenté d’un décor de polylobes refaits par Viollet-le-Duc dans un style plus chargé que l’original, et d’une petite rose ajourée destinée à l’aération des combles de la charpente. Ce sont ces deux pignons qui ont le plus directement souffert de l’incendie du 15 avril 2019.

     

    Orientation bibliographique :

    Marcel Aubert, La cathédrale Notre-Dame de Paris. Notice historique et archéologique, Paris, 1909, p. 11-13, 72-74

    Dieter Kimpel, Die Querhausarme von Notre-Dame zu Paris und ihre Skulpturen, Bonn, 1971.

    Dieter Kimpel et Robert Suckale, L’architecture gothique en France 1130-1270, Flammarion, Paris, 1990, p. 410-421

    Alain Erlande-Brandenburg, Notre-Dame de Paris, Nathan-CNMHS, Paris, 1991, p. 147-167

    Markus Schlicht, « La rose médiévale de la cathédrale de Poitiers et les roses gothiques du XIIIe siècle en France », in : Arch-I-Tech 2010, Actes du colloque Cluny (France), 17-19 novembre 2010, Bordeaux, 2011, p. 193-202

    Dany Sandron, « Les nouvelles façades du transept (vers 1245-1270) », dans Mgr André Vingt-Trois (dir.), Notre-Dame de Paris, Editions La Nuée Bleue (La grâce d’une cathédrale), Strasbourg, 2012, p. 95-100.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Structure et voûtement : l’invention architecturale dans les années 1160

    Claude Andrault-Schmitt

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    Cathédrale de Poitiers, transept, comble, voûte à nervure pénétrante, fin du XIIe siècle, charpente immédiatement postérieure

    Un des titres de gloire de la cathédrale de Paris est la mise en place, à une très grande hauteur, de voûtes d’ogives associées à une élévation formée d’un étagement de type pyramidal.

    Si ce choix audacieux détermine bien l’image définitive de l’édifice, qui est comme arrimé près de la Seine grâce à ses arcs-boutants, il faut bien dire que la définition du projet des années 1160 ne va pas de soi. Le « déshabillage » mental d’un bâtiment qui a bien vécu de siècle en siècle (il faut enlever par la pensée le périmètre des chapelles, les arcs-boutants tels qu’ils se présentent, les bras du transept…) effectué par les spécialistes est nécessaire mais difficile à faire comprendre au public, fût-il celui des étudiants en histoire de l’art. Viollet-le-Duc avait compris cet écueil didactique, en montant autour de la croisée du transept (précisément à l’endroit le plus touché par l’incendie) une élévation à quatre niveaux correspondant à son hypothèse sur le premier aspect de la cathédrale – ce qui complique encore sa lecture.

    Plus simplement, il convient de retenir la spécificité du voûtement comme vecteur essentiel de l’invention architecturale et de le replacer dans le contexte de son époque. Epoque à laquelle les choix sont extrêmement variés et tout est tenté, mais pour laquelle certaines solutions (comme celles de Paris) tendent à rejeter dans l’ombre certaines autres, moins porteuses d’avenir. Si les voûtes d’ogives sont réparties à Notre-Dame de Paris dans différents niveaux, ce n’est pas le cas partout. Si elles présentent un profil « aplati » bien commode pour monter haut les parois minces, ce n’est pas le cas partout non plus.

    A défaut de pouvoir parcourir le spectre des possibles que le succès du « gothique de France » a éclipsés, on se contentera de citer un exemple contemporain, opposé en tout à celui de Paris : à la cathédrale Saint-Pierre-Saint-Paul de Poitiers, un architecte a conçu un ensemble de trois vaisseaux d’égale hauteur mettant en valeur la juxtaposition de voûtes d’ogives minces mais bombées (de type « angevin »), simplement portées par leurs piliers : pas de parois amincies, pas d’étages, pas d’arcs-boutants… Pas d’antécédent et pas de postérité non plus à cette conception originale de l’espace, qui se distingue entre autres par son éclairement. Il s’agit d’une réalisation pensée vers 1155, dont les premières voûtes sont montées avant 1167.

    Ce cas, pour exotique qu’il soit, doit attirer l’attention sur la nécessité d’étudier, de dater, de comprendre et de faire comprendre les modes de voûtement, au cas par cas et en se méfiant des idées reçues : statique, esthétique, procédés de chantier, proportion de coffrage nécessaire, poutraison provisoire, matériaux, ordre de pose entre charpente et voûte (pas évident), etc. Par exemple, on notera que le « type angevin » évolue à la fin du XIIe siècle : les nervures traversent les voûtes, elles ne les « portent » pas. Voilà qui donne raison aux adversaires de Viollet-le-Duc quant à la compréhension des ogives…

     

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    Mise en ligne le 16 mai 2019

  • Le transept et ses roses rayonnantes

    1. L’allongement des bras du transept

    Yves Gallet et Markus Schlicht

    Aux alentours du milieu du XIIIe siècle, la physionomie de Notre-Dame telle qu’elle avait été conçue dans les années 1160 avait significativement évolué. Le corps de la cathédrale était entièrement sorti de terre, mais à partir des années 1220, des travaux de transformation avaient été entrepris dans la nef : amélioration de l’éclairage du vaisseau central par l’allongement des fenêtres hautes, reprise des tribunes et du système de contrebutement, adjonction de chapelles latérales entre les contreforts des bas-côtés. La création de ces dernières, qui élargissaient au sol l’emprise de la nef, menaçait de faire apparaître les façades nord et sud du transept en retrait de l’alignement du mur des bas-côtés : c’est la raison que les historiens de Notre-Dame ont avancée pour expliquer la décision qui fut prise alors d’ajouter une travée, donc une nouvelle façade, à chacun des bras du transept. On ne peut exclure d’autres facteurs : recherche de prestige de la part du clergé (les chanoines accédaient à la cathédrale par le portail du bras nord, l’évêque par celui du bras sud), concurrence avec la Sainte-Chapelle dans le paysage urbain, rivalité avec l’abbatiale de Saint-Denis, où les façades du transept avaient été édifiées peu de temps auparavant. Avec leur composition tripartite – portail, triforium ajouré, grande rose rayonnante –, les façades de Notre-Dame prennent en effet modèle sur celles de Saint-Denis. On peut supposer que l’architecte de la cathédrale eut pour consigne de surpasser les façades de la grande abbaye royale, éternelle rivale de la cathédrale. Sans doute pour la première fois dans l’architecture gothique, il conçut une façade, qui, au lieu de simplement superposer les niveaux, les fusionne tous en un tableau unique. La composition brillante qu’il élabora, impensable sans un recours généralisé au nouveau medium qu’était alors le dessin architectural, constitua aussitôt une référence incontournable pour l’architecture gothique à l’échelle européenne.

     

    Les travaux, menés dans les décennies 1250 et 1260, correspondent à la période d’activité documentée de Jean de Chelles puis de Pierre de Montreuil. Il faut y ajouter par la pensée la première flèche de Notre-Dame, peut-être dessinée elle aussi par l’un ou l’autre de ces deux architectes.

     

    Les façades sont conçues l’une et l’autre sur le même schéma tripartite : un portail, étendu visuellement à l’ensemble de la partie inférieure par une série de gâbles élancés ; au niveau intermédiaire, un triforium vitré, caractéristique du style gothique rayonnant ; une vaste rose qui occupe toute la largeur de la travée. L’ensemble est surmonté d’un pignon triangulaire, agrémenté d’un décor de polylobes refaits par Viollet-le-Duc dans un style plus chargé que l’original, et d’une petite rose ajourée destinée à l’aération des combles de la charpente. Ce sont ces deux pignons qui ont le plus directement souffert de l’incendie du 15 avril 2019.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Le transept de Notre-Dame et ses roses rayonnantes

    2. La rose nord

    Yves Gallet et Markus Schlicht

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    En raison de ses caractères stylistiques, la rose du bras nord est considérée comme antérieure à celle du bras sud. Dans l’état actuel des connaissances sur la succession des architectes de la cathédrale, elle est attribuée à Jean de Chelles et à la décennie 1250. Elle a été refaite à l’identique par Viollet-le-Duc en 1862-1865.

     

    D’un diamètre de 12,9 m, elle compte parmi les plus vastes roses de son temps (la rose sud de Saint-Denis, vers 1245, ne fait « que » 12,2 m de diamètre), même si nous manquons souvent de mesures fiables pour les roses gothiques. Elle est par ailleurs d’une membrure très légère, surtout si on la compare aux roses antérieures de dimensions équivalentes, comme la rose ouest de Chartres. Elle se compose de seize grands pétales qui s’épanouissent du centre vers la périphérie, et qui sont subdivisés de manière à former une double corolle : seize pétales simples rayonnent depuis l’octolobe central, avant de se subdiviser chacun en deux. Au pourtour, seize trilobes meublent les interstices des têtes des lancettes. Ces subdivisions sont liées à l’iconographie vétéro-testamentaire de la rose (16 prophètes dans les médaillons de la première corolle, 32 rois et prophètes dans ceux de la deuxième, 32 grands prêtres du peuple hébreu au pourtour). La modénature est fermement hiérarchisée : meneaux principaux des pétales, meneaux secondaires des pétales de la corolle externe, tête trilobée des lancettes. La rose se découpe dans un cadre carré, les écoinçons inférieurs sont vitrés et meublés de polylobes.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Le transept de Notre-Dame et ses roses rayonnantes

    3. La rose sud

    Yves Gallet et Markus Schlicht

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    Dans son organisation générale, la rose sud est construite sur le modèle de la rose nord. Le dessin est modifié à la périphérie, où les pétales, plus courts, s’amortissent entre des trilobes pointés vers le centre et inscrits dans des triangles curvilignes. Ne comportant que douze pétales, en raison de son iconographie liée au Nouveau Testament (12 apôtres autour du Christ qui se trouvait dans le polylobe central, 24 confesseurs, 12 saintes martyres, et les douze vierges sages accompagnées des vierges folles de la parabole), la rose est aussi d’une structure plus légère. Elle est plus difficile à étudier, car après avoir été refaite une première fois en 1725-1727, elle a été entièrement reconstruite, et modifiée, par Viollet-le-Duc (voir figure ci-dessus). Une iconographie assez fournie permet de connaître l’état antérieur à la restauration : Viollet-le-Duc a fait pivoter la rose de manière à placer un meneau dans l’axe vertical, il en a épaissi la modénature, il a remplacé par des formes rondes toutes les élégantes formes pointues si caractéristiques du style rayonnant des années 1260, qui n’ont subsisté qu’au revers du portail et sur les murs du transept. La restauration programmée pourrait d’ailleurs être l’occasion de repenser le tambour des portes du transept, de manière à rendre visible le revers du mur si soigneusement travaillé par Pierre de Montreuil, tout comme l’avait fait Jean de Chelles côté nord.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Le transept de Notre-Dame et ses roses rayonnantes

    4. Perspectives d'études

    Yves Gallet et Markus Schlicht

    Les roses du transept de Notre-Dame – deux des plus belles pages de l’architecture rayonnante dans la France du XIIIe siècle – se signalent l’une et l’autre par la sûreté et l’élégance de leur dessin. Paradoxalement, elles n’ont jamais fait l’objet d’une étude approfondie. Il y aurait pourtant beaucoup à apprendre sur la géométrie de leur structure, sur leurs techniques de construction, sur la découpe des blocs et leur mise en œuvre, sur les modèles dont elles s’inspirent (la rose nord de Saint-Denis, la première rose de la Sainte-Chapelle) ou encore sur leur retentissement en France et en Europe, c’est-à-dire sur leur place dans l’histoire de l’architecture gothique. Plusieurs roses, par exemple à Reims, Poitiers ou Limoges, à Saint-Germer-de-Fly ou sur la châsse de Sainte-Gertrude de Nivelles, montrent un dessin proche de celui de la rose de Jean de Chelles, à moins qu’il ne s’agisse de copies de la première rose de la Sainte-Chapelle. La rose du bras sud, pour sa part, a été copiée plus d’une quinzaine de fois à travers toute l’Europe, depuis Santarém (Portugal) jusqu’à Vienne (Autriche), et depuis Uppsala (Suède) jusqu’à Orvieto (Italie) et Palma de Mallorca. Ce succès, qu’aucune autre rose n’a jamais égalé, atteste de la renommée hors pair de l’œuvre de Pierre de Montreuil.

     

    Orientation bibliographique :

    Marcel Aubert, La cathédrale Notre-Dame de Paris. Notice historique et archéologique, Paris, 1909, p. 11-13, 72-74

    Dieter Kimpel, Die Querhausarme von Notre-Dame zu Paris und ihre Skulpturen, Bonn, 1971.

    Dieter Kimpel et Robert Suckale, L’architecture gothique en France 1130-1270, Flammarion, Paris, 1990, p. 410-421

    Alain Erlande-Brandenburg, Notre-Dame de Paris, Nathan-CNMHS, Paris, 1991, p. 147-167

    Markus Schlicht, « La rose médiévale de la cathédrale de Poitiers et les roses gothiques du XIIIe siècle en France », in : Arch-I-Tech 2010, Actes du colloque Cluny (France), 17-19 novembre 2010, Bordeaux, 2011, p. 193-202

    Dany Sandron, « Les nouvelles façades du transept (vers 1245-1270) », dans Mgr André Vingt-Trois (dir.), Notre-Dame de Paris, Editions La Nuée Bleue (La grâce d’une cathédrale), Strasbourg, 2012, p. 95-100.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Les roses de Notre-Dame et l’Europe – transmission et transformations

    Marc Carel Schurr et Daniel Parello

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    Après l'achèvement de sa nef et de sa façade occidentale au milieu du XIIIe siècle, la cathédrale a connu de nombreuses transformations qui ont, très rapidement, donné lieu à de nouvelles campagnes de vitrerie. Aujourd’hui, ne subsistent du XIIIe siècle que les trois roses situées en façade occidentale et aux bras du transept. Nous connaissons quelques fragments du programme vitré installé au cours des siècles grâce notamment à Pierre Le Vieil, peintre verrier de la cathédrale qui fut chargé, pendant une trentaine d’années, d’en déposer les derniers vitraux médiévaux. Son témoignage manque parfois de fiabilité chronologique, mais il n’en reste pas moins précieux pour appréhender l’état de la vitrerie de Notre-Dame au XVIIIe siècle, complété par d’autres descriptions. Ainsi, Notre-Dame était ornée d’une « vision triomphale de la Vierge » offerte par Suger pour l’ancien édifice, ou encore d’une verrière dédiée à saint Jean-Baptiste offerte par Philippe Le Bel et Jeanne de Navarre à la fin du XIIIe siècle. C’est surtout au XIVe siècle que le vitrage connaît de radicales transformations, notamment dans le chœur où Pierre Le Vieil voit une série d’évêques en grisaille et jaune d’argent, tandis que les fenêtres hautes du chœur et celles des chapelles construites à cette époque sont également remplacées. Cet ensemble du XIVe siècle est agrémenté de donations ponctuelles aux siècles suivants, mais reste toutefois un jalon majeur dans l’histoire du vitrage de Notre-Dame. La destruction de cette vitrerie médiévale au XVIIIe siècle s’explique par plusieurs facteurs : de nouveaux aménagements architecturaux ou mobiliers, l’état lacunaire de certains de ces vitraux et le changement d’esthétique, afin « d’éclairer » l’édifice. Pierre Le Vieil dépose ces vestiges et insère une vitrerie quasi incolore, aux discrètes touches de couleurs (voir figure ci-dessous).

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    L’un des exemples les plus beaux dans l’espace germanique est la rose dans la façade occidentale de l‘ancienne abbatiale cistercienne d’Ebrach. Cette rose à 20 rayons fut créée avant 1285 et reprend le modèle parisien dans la disposition architecturale ainsi que dans le concept iconographique des vitraux, qui associait des figures de saints à une ornementation multicolore. Peu après, la grande rose dans la façade de la cathédrale de Strasbourg (voir figure ci-dessus) suit de nouveau le modèle de Notre-Dame de Paris tout en renonçant à un programme figuré. Ses vitraux ne sont plus composés que de motifs ornementaux. En revanche, la construction architecturale est devenue encore plus complexe, poussant à l’extrême l’idéal d’une structure en filigrane qui impressionne par la finesse et la richesse en variation de ses détails. Comme un peu plus tard à Fribourg-en-Brisgau, où la rose strasbourgeoise a inspiré les rosaces dans le mur occidental des bas-côtés de la cathédrale, le goût pour l’invention architecturale s’est imposé au frais de l’imagerie dans les vitraux, qui avant étaient le porteur d’une signification religieuse complexe. Ainsi, l’impulsion des idées des architectes parisiens transforma durablement le paysage architectural européen.

     

    Références :

    Marcel Aubert , Louis Grodecki , Jean Lafond, Les Vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris, Corpus vitrearum medii aevi, France : 1.1, Paris, 1959.

    Robert Suckale, « Thesen zum Bedeutungswandel der gotischen Fensterrose », in Karl Clausberg, Dieter Kimpel, Hans-Joachim Kunst, Robert Suckale (dir.), Bauwerk und Bildwerk im Hochmittelalter, Giessen, 1981, p. 259–294.

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • Les vitraux de Notre-Dame : un ensemble composite

    Caroline Blondeau-Morizot

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    Après l'achèvement de sa nef et de sa façade occidentale au milieu du XIIIe siècle, la cathédrale a connu de nombreuses transformations qui ont, très rapidement, donné lieu à de nouvelles campagnes de vitrerie. Aujourd’hui, ne subsistent du XIIIe siècle que les trois roses situées en façade occidentale et aux bras du transept. Nous connaissons quelques fragments du programme vitré installé au cours des siècles grâce notamment à Pierre Le Vieil, peintre verrier de la cathédrale qui fut chargé, pendant une trentaine d’années, d’en déposer les derniers vitraux médiévaux. Son témoignage manque parfois de fiabilité chronologique, mais il n’en reste pas moins précieux pour appréhender l’état de la vitrerie de Notre-Dame au XVIIIe siècle, complété par d’autres descriptions. Ainsi, Notre-Dame était ornée d’une « vision triomphale de la Vierge » offerte par Suger pour l’ancien édifice, ou encore d’une verrière dédiée à saint Jean-Baptiste offerte par Philippe Le Bel et Jeanne de Navarre à la fin du XIIIe siècle. C’est surtout au XIVe siècle que le vitrage connaît de radicales transformations, notamment dans le chœur où Pierre Le Vieil voit une série d’évêques en grisaille et jaune d’argent, tandis que les fenêtres hautes du chœur et celles des chapelles construites à cette époque sont également remplacées. Cet ensemble du XIVe siècle est agrémenté de donations ponctuelles aux siècles suivants, mais reste toutefois un jalon majeur dans l’histoire du vitrage de Notre-Dame. La destruction de cette vitrerie médiévale au XVIIIe siècle s’explique par plusieurs facteurs : de nouveaux aménagements architecturaux ou mobiliers, l’état lacunaire de certains de ces vitraux et le changement d’esthétique, afin « d’éclairer » l’édifice. Pierre Le Vieil dépose ces vestiges et insère une vitrerie quasi incolore, aux discrètes touches de couleurs (voir figure ci-dessous).

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    Au XIXe siècle, le chantier de restauration supervisé par Eugène Viollet-le-Duc substitue au travail de Pierre Le Vieil des créations contemporaines, dans un style archéologique. Les verrières actuelles des fenêtres hautes de la nef ont remplacé les grisailles du XIXe siècle : réalisées par Jacques Le Chevallier dans les années 1960, elles sont l’aboutissement de la querelle des vitraux visant à installer à Notre-Dame des œuvres contemporaines, réalisées par les membres du renouveau de l’art sacré dans l’entre-deux guerres. Certains de ces vitraux, installés brièvement dans les baies de Notre-Dame et déposés après la guerre, étaient encore en caisse dans la cathédrale.

     

    Orientation bibliographique :

    Pierre Le Vieil, L’art de la peinture sur verre et de la vitrerie, Paris, 1774 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1075062r/f1.item.r=Pierre%20Le%20Vieil ).

    Marcel Aubert, Louis Grodecki, Jean Lafond, Jean Verrier, Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris, Paris, 1959, p. 13-54.

    Catherine Brisac, Louis Grodecki, Jacques Le Chevallier, Les vitraux de Notre-Dame de Paris, Paris, 1981.

    Annie Auzas, Odile Pinard, « Les verrières modernes », Notre-Dame de Paris, Strasbourg, 2012, p. 293-299.

     

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    Mise en ligne le 29 avril 2019

  • La rose occidentale

    Sophie Lagabrielle

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    Datée des années 1220-1230, la rose ouest est la plus ancienne et la plus petite des trois roses de Notre-Dame de Paris (Diam. 9,60 m). Son antériorité par rapport aux deux autres explique qu’elle intègre moins de « vide » que ces dernières, qu’elle s’ouvre dans un mur plein dépourvu d’écoinçons de verre aux angles et de galerie vitrée à la base. Formellement, elle tend vers les formes équilibrées de l’art rayonnant que ne proposent pas encore les roses plus murales de Chartres (ouest et nord) ou de Laon et n’atteignent pas plus la rose sud de Chartres, celles de Lausanne ou de Mantes.

    Parcourue de 12 rayons, la rose se développe en trois grands cercles concentriques figuratifs : le plus petit se compose de 12 quadrilobes, le cercle médian reçoit 24 petits médaillons, tandis que le troisième, plus large, accueille 24 quadrilobes, le tout à dominante bleue et rouge. Plusieurs médaillons ont été repris aux XVIe et XVIIIe siècles (1731) et découverts en grand désordre vers 1855 ; les interventions de restauration dues à Louis Charles Auguste Steinheil (1814-1885), peintre-cartonnier, et à Alfred Gérente (1821-1868), peintre-verrier, auraient pu être plus importantes encore si elles n’avaient pas été gênées par la présence de l’orgue.

    Dans son acceptation la plus littérale, l’iconographie s’organise autour d’une Vierge à l’Enfant (XIXe siècle) qui occupe la petite rose polylobée centrale, entourée des Prophètes, en position assise (quadrilobes intérieurs), des signes du zodiaque et travaux des mois (médaillons médians), enfin des Vices et Vertus (quadrilobes extérieurs). De tendance encyclopédique, elle puise au Miroir de la Nature (zodiaque et mois de l’année) et au Miroir moral (Vices et Vertus), reflet du contexte théologique des XIIe et XIIIe siècles. C’est cette thématique qu’il serait désormais intéressant d’étudier de façon plus approfondie.

     

    Bibliographie complémentaire :

    Marcel Aubert, Louis Grodecki, Jean Lafond, Jean Verrier, Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris, Monographie I.1, CNRS éditions, Paris, 1959.

    Painton Cowen, Roses médiévales, Paris, Le Seuil, 1979

     

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    Mise en ligne le 24 juin 2019

  • Viollet-le-Duc et la polychromie à Notre-Dame de Paris

    Anne Vuillemard-Jenn

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    Au cours du XIXe siècle, le regain d’intérêt pour le Moyen-Âge a permis l’observation de nombreuses traces de polychromie remises au jour à l’occasion du débadigeonnage des édifices. Ces couleurs, tout comme celles étudiées sur les temples antiques, ont suscité l’envie d’en finir avec un idéal de blancheur véhiculé par le néoclassicisme. Viollet-le-Duc a joué un rôle pionnier dans cette redécouverte et dans le débat virulent consacré à la polychromie de l’architecture. L’étude du décor de la Sainte-Chapelle, durant sa restauration, a très largement nourri l’article « Peinture » de son Dictionnaire dans lequel il a tenté de définir une démarche rationnelle pour la création de nouvelles polychromies. La théorie viollet-le-ducienne est incontestablement la réflexion la plus poussée du XIXe siècle sur ce sujet, ce qui rend les décors conservés d’autant plus précieux. À Notre-Dame de Paris, une polychromie a été réalisée dans la nef, le transept et le chœur en 1856 à l’occasion du baptême du Prince impérial. Elle n’était pas destinée à rester en place mais offrait l’image d’un édifice vivement coloré. Dès 1864, ce sont les chapelles qui ont reçu un décor peint sous la direction de Viollet-de-Duc. Ces peintures néogothiques ont été supprimées après la Seconde Guerre mondiale, dans la plus grande indifférence, dans les chapelles de la nef et du transept. Elles subsistent, en revanche, dans certaines chapelles du chœur. Leur restauration, à partir de 1992, a permis de redécouvrir un ensemble dont Viollet-le-Duc pensait qu’il pourrait contribuer à former le goût du public pour la peinture décorative. On perçoit la valeur qu’il accordait à ces décors dans le soin apporté à leur publication en 1870 avec des chromolithographies dont les tons devaient se rapprocher le plus possible des peintures récemment réalisées.

     

    Ces décors font également écho à la clôture du chœur, remise en couleur par Viollet-le-Duc. Au côté de la flèche disparue, ces polychromies illustrent son intervention à Notre-Dame de Paris à la fois comme créateur et comme restaurateur. La réhabilitation de l’historicisme, longtemps méprisé, nous conduit à poser un regard renouvelé sur ces polychromies néogothiques qui font pleinement partie de l’histoire de l’édifice. Il faut espérer que ce patrimoine fragile n’ait pas eu trop à souffrir des effets de l’incendie.

     

    Bibliographie :

    Macé de Lépinay, « Les peintures murales », dossier Notre-Dame, Monumental, 2000, p. 46-53.

    Timbert A., « Couleurs du passé, couleurs du présent. La polychromie d’architecture chez Viollet-le-Duc », Anastasis, volume 3, numéro 2 http ://anastasis-review.ro/wp-content/uploads/2017/03/III-2-Arnaud-Timbert-BDT.pdf

    Viollet-le-Duc, E.-E., Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, Édition Bance-Morel, 1854-1868, tome 7, p. 56-109, article « Peinture ».

    Viollet-le-Duc, E.-E., Ouradou, M., Peintures murales des chapelles de Notre- Dame de Paris, Paris, Morel, 1870. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105462094.r=viollet%20le%20duc%20ouradou?rk=21459;2

     

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    Mise en ligne le 11 mai 2019

  • La polychromie de la façade occidentale

    Anne Vuillemard-Jenn

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    L’existence d’une polychromie sur la façade de Notre-Dame de Paris est un fait connu de longue date. En 1844, les Annales archéologiques publiaient le récit de Martyr, évêque d’Azendjan, qui à la fin du XVe siècle avait loué la beauté des sculptures des portails, peintes de diverses couleurs et ornées d’or. Au cours du XIXe siècle, des traces de polychromie ont été évoquées à plusieurs reprises et notamment par Viollet-le-Duc dont l’intérêt pour le sujet est bien connu. Un dépoussiérage du portail du Jugement dernier en 1963 avait confirmé sa mise en couleur mais, c’est surtout la vaste campagne de restauration de la façade occidentale dans les années 1990 qui a permis de faire les observations les plus poussées. Bien que ténus, des fragments de polychromie ont pu être mis en évidence sur les trois portails. La palette a révélé des tonalités bleues, rouges, vertes, jaunes et noires, ainsi qu’une présence importante de dorure. Cette polychromie témoigne d’une volonté d’accentuer la lisibilité du programme sculpté par des contrastes de couleurs ou des rehauts comme le vermillon des plaies du Christ Juge.

     

    Au-dessus des portails, la galerie des Rois devait être un autre moment fort de la polychromie de la façade. En 1977, une découverte archéologique exceptionnelle a été faite rue de la Chaussée d’Antin où ont été exhumés plus de 300 fragments lapidaires, parmi lesquels 21 des 28 têtes des statues de cette galerie, abattues lors de la Révolution. Ces visages fortement individualisés par le sculpteur conservaient une polychromie accentuant encore leur singularité. L’expressivité de chacun des rois était renforcée par la mise en couleur des globes oculaires, par des paupières et des sourcils soulignés de noir. Leur carnation claire était délicatement modulée et leurs lèvres rehaussées de rouge. Enfin, les chevelures et les barbes étaient traitées avec différentes nuances. Les études ont montré que la galerie dans laquelle prenaient place ces statues était elle-même vivement polychromée. Des oppositions chromatiques permettaient aux moulures saillantes de se différencier davantage des fonds sur les arcs trilobés ou sur les chapiteaux. De plus, la seule colonnette médiévale encore en place a révélé un motif spiralé, laissant imaginer l’éclat de cet ensemble. Alors que la monochromie tend à niveler les surfaces, des alternances de couleurs apportaient un rythme qui aujourd’hui n’est plus perceptible depuis le parvis. Viollet-le-Duc avait également observé une polychromie sur la rose occidentale, les niches des contreforts ou les façades du transept. A la faveur d’une nouvelle restauration, l’observation rapprochée des parements et du décor sculpté, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur pourrait permettre de découvrir d’autres traces de couleur venant nuancer la clarté du calcaire de Notre-Dame de Paris.

     

    Bibliographie

    « Mélanges. Statuaire de Notre-Dame de Paris au XVe siècle », Annales archéologiques, 1844, T. I, p. 56. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k203410s/f61.image

    S. Demailly, « L'étude de la polychromie de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris», dossier Notre-Dame, Monumental, 2000, p. 30-35. http://www.lrmh.fr/IMG/pdf/mon-2000-30.pdf

    A. Erlande-Brandenburg, D. Thibaudat, Les Sculptures de Notre-Dame de Paris au musée de Cluny, Paris, RMN, 1982, no 96.

    B. Fonquernie, « Traces de la polychromie sur les portails et la galerie des Rois de Notre-Dame de Paris », D. Verret, D. Steyaert (Dir.), La couleur et la pierre. Polychromie des portails gothiques, Actes du colloque d’Amiens, 2000, Paris, 2002, p. 119-128.

    E.-E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, Édition Bance-Morel, 1854-1868, tome 7, p. 56-109, article « Peinture ».

    https://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_raisonné_de_l’architecture_française_du_XIe_au_XVIe_siècle/Peinture

    Anne Vuillemard-Jenn,"La polychromie des façades gothiques et sa place au sein d'un dispositif visuel", Histoire de l'art, 2013, 72, pp. 43-55.

     

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    Mise en ligne le 13 juin 2019