Scientifiques de Notre-Dame
Viollet-le-Duc et la polychromie à Notre-Dame de Paris
Anne Vuillemard-Jenn
La polychromie de la façade occidentale
Anne Vuillemard-Jenn
Viollet-le-Duc et la polychromie à Notre-Dame de Paris
Au cours du XIXe siècle, le regain d’intérêt pour le Moyen-Âge a permis l’observation de nombreuses traces de polychromie remises au jour à l’occasion du débadigeonnage des édifices. Ces couleurs, tout comme celles étudiées sur les temples antiques, ont suscité l’envie d’en finir avec un idéal de blancheur véhiculé par le néoclassicisme. Viollet-le-Duc a joué un rôle pionnier dans cette redécouverte et dans le débat virulent consacré à la polychromie de l’architecture. L’étude du décor de la Sainte-Chapelle, durant sa restauration, a très largement nourri l’article « Peinture » de son Dictionnaire dans lequel il a tenté de définir une démarche rationnelle pour la création de nouvelles polychromies. La théorie viollet-le-ducienne est incontestablement la réflexion la plus poussée du XIXe siècle sur ce sujet, ce qui rend les décors conservés d’autant plus précieux. À Notre-Dame de Paris, une polychromie a été réalisée dans la nef, le transept et le chœur en 1856 à l’occasion du baptême du Prince impérial. Elle n’était pas destinée à rester en place mais offrait l’image d’un édifice vivement coloré. Dès 1864, ce sont les chapelles qui ont reçu un décor peint sous la direction de Viollet-de-Duc. Ces peintures néogothiques ont été supprimées après la Seconde Guerre mondiale, dans la plus grande indifférence, dans les chapelles de la nef et du transept. Elles subsistent, en revanche, dans certaines chapelles du chœur. Leur restauration, à partir de 1992, a permis de redécouvrir un ensemble dont Viollet-le-Duc pensait qu’il pourrait contribuer à former le goût du public pour la peinture décorative. On perçoit la valeur qu’il accordait à ces décors dans le soin apporté à leur publication en 1870 avec des chromolithographies dont les tons devaient se rapprocher le plus possible des peintures récemment réalisées.
Ces décors font également écho à la clôture du chœur, remise en couleur par Viollet-le-Duc. Au côté de la flèche disparue, ces polychromies illustrent son intervention à Notre-Dame de Paris à la fois comme créateur et comme restaurateur. La réhabilitation de l’historicisme, longtemps méprisé, nous conduit à poser un regard renouvelé sur ces polychromies néogothiques qui font pleinement partie de l’histoire de l’édifice. Il faut espérer que ce patrimoine fragile n’ait pas eu trop à souffrir des effets de l’incendie.
Bibliographie :
Macé de Lépinay, « Les peintures murales », dossier Notre-Dame, Monumental, 2000, p. 46-53.
Timbert A., « Couleurs du passé, couleurs du présent. La polychromie d’architecture chez Viollet-le-Duc », Anastasis, volume 3, numéro 2 http ://anastasis-review.ro/wp-content/uploads/2017/03/III-2-Arnaud-Timbert-BDT.pdf
Viollet-le-Duc, E.-E., Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, Édition Bance-Morel, 1854-1868, tome 7, p. 56-109, article « Peinture ».
Viollet-le-Duc, E.-E., Ouradou, M., Peintures murales des chapelles de Notre- Dame de Paris, Paris, Morel, 1870. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105462094.r=viollet%20le%20duc%20ouradou?rk=21459;2
Mise en ligne le 11 mai 2019
L’existence d’une polychromie sur la façade de Notre-Dame de Paris est un fait connu de longue date. En 1844, les Annales archéologiques publiaient le récit de Martyr, évêque d’Azendjan, qui à la fin du XVe siècle avait loué la beauté des sculptures des portails, peintes de diverses couleurs et ornées d’or. Au cours du XIXe siècle, des traces de polychromie ont été évoquées à plusieurs reprises et notamment par Viollet-le-Duc dont l’intérêt pour le sujet est bien connu. Un dépoussiérage du portail du Jugement dernier en 1963 avait confirmé sa mise en couleur mais, c’est surtout la vaste campagne de restauration de la façade occidentale dans les années 1990 qui a permis de faire les observations les plus poussées. Bien que ténus, des fragments de polychromie ont pu être mis en évidence sur les trois portails. La palette a révélé des tonalités bleues, rouges, vertes, jaunes et noires, ainsi qu’une présence importante de dorure. Cette polychromie témoigne d’une volonté d’accentuer la lisibilité du programme sculpté par des contrastes de couleurs ou des rehauts comme le vermillon des plaies du Christ Juge.
Au-dessus des portails, la galerie des Rois devait être un autre moment fort de la polychromie de la façade. En 1977, une découverte archéologique exceptionnelle a été faite rue de la Chaussée d’Antin où ont été exhumés plus de 300 fragments lapidaires, parmi lesquels 21 des 28 têtes des statues de cette galerie, abattues lors de la Révolution. Ces visages fortement individualisés par le sculpteur conservaient une polychromie accentuant encore leur singularité. L’expressivité de chacun des rois était renforcée par la mise en couleur des globes oculaires, par des paupières et des sourcils soulignés de noir. Leur carnation claire était délicatement modulée et leurs lèvres rehaussées de rouge. Enfin, les chevelures et les barbes étaient traitées avec différentes nuances. Les études ont montré que la galerie dans laquelle prenaient place ces statues était elle-même vivement polychromée. Des oppositions chromatiques permettaient aux moulures saillantes de se différencier davantage des fonds sur les arcs trilobés ou sur les chapiteaux. De plus, la seule colonnette médiévale encore en place a révélé un motif spiralé, laissant imaginer l’éclat de cet ensemble. Alors que la monochromie tend à niveler les surfaces, des alternances de couleurs apportaient un rythme qui aujourd’hui n’est plus perceptible depuis le parvis. Viollet-le-Duc avait également observé une polychromie sur la rose occidentale, les niches des contreforts ou les façades du transept. A la faveur d’une nouvelle restauration, l’observation rapprochée des parements et du décor sculpté, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur pourrait permettre de découvrir d’autres traces de couleur venant nuancer la clarté du calcaire de Notre-Dame de Paris.
Bibliographie
« Mélanges. Statuaire de Notre-Dame de Paris au XVe siècle », Annales archéologiques, 1844, T. I, p. 56. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k203410s/f61.image
S. Demailly, « L'étude de la polychromie de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris», dossier Notre-Dame, Monumental, 2000, p. 30-35. http://www.lrmh.fr/IMG/pdf/mon-2000-30.pdf
A. Erlande-Brandenburg, D. Thibaudat, Les Sculptures de Notre-Dame de Paris au musée de Cluny, Paris, RMN, 1982, no 96.
B. Fonquernie, « Traces de la polychromie sur les portails et la galerie des Rois de Notre-Dame de Paris », D. Verret, D. Steyaert (Dir.), La couleur et la pierre. Polychromie des portails gothiques, Actes du colloque d’Amiens, 2000, Paris, 2002, p. 119-128.
E.-E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, Édition Bance-Morel, 1854-1868, tome 7, p. 56-109, article « Peinture ».
Anne Vuillemard-Jenn,"La polychromie des façades gothiques et sa place au sein d'un dispositif visuel", Histoire de l'art, 2013, 72, pp. 43-55.
Mise en ligne le 13 juin 2019
Qui sommes-nous ?
Ressources
Contactez-Nous
Scientifiques de Notre-Dame = ISSN 2677-8653 ; Paris, France © 2019