• Les statues des Rois de Juda de Notre-Dame, témoins de la pollution de l’air à Paris du Moyen-Age à la Révolution

    Roger-Alexandre Lefèvre

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    Les statues des Rois de Juda, ancêtres de Marie et du Christ, ont orné la galerie de la façade occidentale de Notre-Dame, au-dessus des trois grands portails, de l’époque gothique (XIIIe siècle) jusqu’à la Révolution française. En 1793, elles furent martelées, décapitées et jetées à terre par les révolutionnaires, qui les ont probablement assimilées à la représentation des rois de France. Leurs débris ont été évacués vers un lieu inconnu en 1796. Au XIXe siècle, Viollet-Le-Duc fit exécuter les copies que l’on voit actuellement sur la façade de la cathédrale (Delmonte et al., 2001).

    Vingt-et-une des vingt-huit têtes originelles furent retrouvées fortuitement en 1977, lors de travaux souterrains rue de la Chaussée d’Antin et furent transportées au Musée National du Moyen Âge de l’Hôtel de Cluny à Paris où elles sont dorénavant exposées après leur restauration . Leur examen macroscopique révèle la présence de croûtes grises sur les faces des statues mais pas sur les tranches des cous : ces encroûtements gris se sont donc formés antérieurement à l’enfouissement des têtes, c’est-à-dire durant leur exposition à l’atmosphère de Paris entre le XIIIe et la fin du XVIIIe siècle.

    L’examen microscopique de prélèvements effectués sur les croûtes grises des faces des statues révèle la présence d’abondants débris de bois cimentés par une gangue minérale majoritairement calcitique (CaCO3) et peu gypseuse (CaSO4, 2H2O), reflétant la présence majoritaire de CO2 dans l’air de Paris à cette époque, due à la combustion du bois. L’absence de cendres volantes caractéristiques de la combustion du charbon ou des dérivés du pétrole confirme bien l’âge pré-industriel de ces encroûtements gris.

    L’utilisation massive et exclusive du bois à Paris - grand pourvoyeur des particules carbonées retrouvées dans les encroûtements grisâtres - avant l’introduction du charbon au début du XIXe siècle, est attestée à la fois comme nous venons de le voir, par les débris retrouvés sur les Têtes des statues des Rois de Juda de la façade de Notre-Dame, mais aussi dans la littérature (Digby, 1658 ; Le Bègue de Presle, 1763) et sur des tableaux de la même époque (Demachy, 1770).

    Les statues de la façade occidentale de Notre-Dame sont donc un témoin matériel précieux et unique de l’état de l’atmosphère parisienne du Moyen Âge à la période révolutionnaire, alors qu’aucune mesure de polluants n’était faite à Paris à cette époque.


    Références :

    Del Monte, M., Ausset, P., Lefèvre, R., Thiébault, S., 2001: Evidence of pre-industrial air pollution from the Heads of Kings of Juda Statues from Notre-Dame Cathedral in Paris, Science of the Total Env., 273, 1-3, 101-1.
    Demachy, P.-A. , 1770 : La démolition de l’église Saint-Barthélemy en la Cité, Huile sur toile, Musée Carnavalet, Paris.
    Digby K., 1658 : Discours fait en une célèbre assemblée touchant la guérison des playes et la composition de la poudre de sympathie, Augustin Courbé & Pierre Moet, Paris.
    Le Bègue de Presle, A.G., 1763 : Le conservateur de la santé ou Avis sur les dangers qu’il importe d’éviter, pour se conserver en bonne santé et prolonger sa vie. A La Haye et chez P. FR. Didot le Jeune à Paris.

     

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    Mise en ligne le 29 avril 2019

  • La pierre et les vitraux de Notre-Dame restaurée résisteront-ils à la pollution de l’air et au changement climatique ?

    Roger-Alexandre Lefevre

    Les deux principaux matériaux constituant l’enveloppe de Notre-Dame (en dehors du toit et de la charpente dont on ne sait à ce jour de quelle nature ils seront après restauration-réparation-reconstruction) sont le calcaire parisien et le verre des vitraux anciens. Comme tous les matériaux du patrimoine culturel ils subissent des événements extrêmes, dont le récent incendie est un malheureux exemple, et des événements lents liés à la pollution de l’air et au climat, dont les changements actuels pourraient être préoccupants.

    Située en plein cœur de Paris, la cathédrale est exposée à la pollution de l’air, à la pluie et aux variations de température et d’humidité de l’air. La pollution la noircit par dépôt de particules dans ses parties abritées de la pluie ; la pluie l’érode par dissolution de la pierre ou par lessivage chimique des vitraux ; enfin, température et humidité de l’air sont en relation directe avec le changement climatique contemporain. Quels ont été dans les siècles passés et quels sont les effets projetés de ces quatre facteurs majeurs pour les décennies à venir ?

    La pollution de l’air à Paris depuis 1500 a été reconstituée grâce à des données historiques (entrées de bois de chauffage et de charbon à Paris, récits littéraires, œuvres d’art…) puis grâce aux mesures quantitatives du Laboratoire d’Hygiène de la Ville de Paris et d’AIRPARIF. Elle a été projetée jusqu’en 2100 au moyen du modèle d’émission GAINS (Fig. 1). On voit ainsi que les concentrations de SO2, NO2 et PM10 dans l’air parisien ont cru lentement jusqu’au début du XIXe siècle, puis considérablement depuis l’introduction du charbon puis des dérivés du pétrole, pour décroître dans la seconde moitié du XXe siècle du fait de l’abandon du charbon, de la désulfuration des carburants et de la filtration catalytique des rejets des véhicules. Cette décroissance générale est probablement appelée à se poursuivre jusqu’à la fin du XXIe siècle, si l’on en croit les modèles prédictifs.

    Fig. 1- Concentrations de SO2, PM10 et NO2 dans l’air de Paris de 1500 à 2100 (Ionescu et al. 2012).

    Fig. 1- Concentrations de SO2, PM10 et NO2 dans l’air de Paris de 1500 à 2100 (Ionescu et al. 2012).

    Le noircissement ou « soiling » du calcaire (Fig. 2) et son érosion (Fig. 3), établis et projetés sur la base des mêmes données historiques, des mesures de polluants atmosphériques, du modèle d’émission GAINS et du modèle climatique Aladin-Climat de Météo-France, dans les scénarios RCP 2.6 et 8.5 du 5e Rapport du GIEC (2014), le tout introduit dans des Fonctions Dose-Réponse (Lipfert 1989 et ICP Materials in Tidblad, 2010), suivent une évolution parallèle à celle des polluants atmosphériques (Fig. 1).

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    Fig. 2 – Noircissement des façades à Paris de 1500 à 2100 : concentration en carbone élémentaire (EC µg m-3) et taux de noircissement (% par mois). L’aire la plus sombre montre l’augmentation du taux de noircissement dans les rues à fort trafic où les PM10 sont considérées comme 50% plus abondantes que dans la pollution de fond et les particules quelques % plus sombres (Lefèvre et al. 2015)

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    Fig.3 – Taux de récession (µm.an-1) du calcaire neuf, estimé d’après la Fonction de Lipfert (1989) et le projet ICP Materials (Tidblad, 2010) de 1500 à 2100 à Paris. L’augmentation de la récession projetée par la Fonction de Lipfert à la fin du 21ème siècle serait due à l’augmentation des concentrations de CO2 dans l’air et donc dans la pluie qui sera ainsi plus acide et plus érosive (Lefèvre et al., 2015).

    Quant au lessivage chimique des vitraux anciens par l’humidité atmosphérique (en dehors de la pluie directe, mais celle-ci est encore plus active), qui extrait le calcium et le potassium de leur surface, enrichissant celle-ci en silice, il suit les mêmes évolutions passées et futures.

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    Fig. 4– Profondeur annuelle du lessivage chimique de K et Ca sous la surface d’un verre de vitrail neuf, de composition Si-Ca-K, protégé de la pluie, exposé à Paris de 1500 à 2100 (Ionescu et al., 2012).

    En conclusion, on peut aisément comprendre à la vue des résultats exposés ci-dessus que l’enveloppe minérale (pierre et vitraux) de Notre-Dame n’est pas vraiment menacée dans l’avenir par la pollution de l’air parisien et par l’impact du changement climatique en cours. Cependant, ce pronostic plutôt optimiste ne se concrétisera réellement que si les efforts de la Municipalité parisienne pour réduire la pollution de l’air dans la capitale se poursuivent, que si la cathédrale est l’objet d’une efficace maintenance préventive (ravalements réguliers, installation de doubles verrières de protection des vitraux) et que si le réchauffement climatique est contenu sous 2°C, voire 1,5°C, à l’échelle globale.

     

     

    Références bibliographiques :

    Ionescu, A., Lefèvre, R.-A., Brimblecombe, P., Grossi, C.M., 2012: Long-term damage to glass in Paris in a changing environment, Science of the Total Environment, 431,151-156.

    Lefèvre, R.-A., Brimblecombe, P., Grossi, C.M., Déqué, M., Ionescu, A. , 2015: Long-term damage of climate and pollution to the stone and glass in Paris, Int. Scient. Conf. “Our common future under climate change”, UNESCO, Paris.

    Lipfert, F.W., 1989: Atmospheric Damage to Calcareous Stones. Comparison and reconciliation of recent experimental findings, Atmospheric Environment, 23, 415-429.

    Tidblad, J., 2010: Dose-Response and Damage Functions for Materials in a Changing Climate, Proceedings of the 2009 Ravello International Workshop, R.-A. Lefèvre and C. Sabbioni, Ed., Edipuglia, Publ., Bari, 71-79.

     

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    Mise en ligne le 16 mai 2019

  • Les calcaires : densité, porosité et faiblesses. Les éléments protecteurs (biofilm)

    Bruno Phalip

    Chypre, Famagouste, église Sainte-Marie-du-Carmel, fin XIIIe-début XIVe siècle, calcaire ; carreaux montrant leurs surfaces de référence (marques de taille), les altérations (alvéolisation des parties de moindre densité) et la colonisation protectrice (lichens crustacés). Depuis le siège de 1570, l’église n’a fait l’objet d’aucune restauration, soit 4 siècles et demi.

    Chypre, Famagouste, église Sainte-Marie-du-Carmel, fin XIIIe-début XIVe siècle, calcaire ; carreaux montrant leurs surfaces de référence (marques de taille), les altérations (alvéolisation des parties de moindre densité) et la colonisation protectrice (lichens crustacés). Depuis le siège de 1570, l’église n’a fait l’objet d’aucune restauration, soit quatre siècles et demi.

    Les calcaires sont dans un état stable (température et eau contenue) tant qu’ils ne sont pas extraits. En carrière, l’extraction constitue un premier traumatisme suivi d’autres, relatifs à la taille, mais aussi à la sculpture. Parallèlement, le matériau perd son « eau de carrière » et subit une phase de dessiccation. Plus la taille est fine, pour correspondre aux sculptures, et plus la pierre calcaire est fragilisée : elle se contracte en phase sèche et connaît une phase d’expansion lors des épisodes humides. La liste des altérations de la pierre est vaste. Dans le cas des calcaires, la pierre tend à se créer une couche protectrice issu de dépôts en surface lors de l’évaporation de l’eau de carrière saturée en calcium, après la taille et la pose, traditionnellement appelée calcin. Ce calcin constitue un premier bouclier thermique et hydrique qui peut être complété d’un bouclier complémentaire, le biofilm. Neuf à quinze mois après la pose d’une pierre en extérieur, bactéries et cyanobactéries colonisent la surface taillée. Quelques années après (4 à 5), suivant le milieu extérieur, des lichens, puis des mousses s’acclimatent et peuplent les parements exposés à l’humidité. Il s’agit alors d’une végétation « inférieure » (sans système racinaire) qui protège des grands écarts de température et de l’eau météoritique : gel, grêle, pluie, neige, différentiel de température entre le jour et la nuit, l’été et l’hiver… etc. Longtemps nettoyés afin de les faire disparaître (blanchir le matériau), le calcin et le biofilm sont encore assez rarement respectés et reconnus pour leurs qualités : protection et porosité. L’aspect esthétique est seul concerné, tout comme les attaques acides des moyens d’accroche par rhyzines ou mycéliums. Toutefois, chaque nettoyage ou traitement (biocide/produits phytosanitaires, imperméabilisants) dégrade la surface des pierres (quelques microns à chaque nettoyage), altère les parties les plus fragiles. Toute pierre couverte peut résister huit à dix siècles sans dégâts majeurs ; depuis les restaurations et nettoyages, les altérations des pierres sont exponentielles : pollution (nitrates, phosphates, gaz d’échappement et de chauffage…) notamment en milieu urbain dégradant le calcin pour former des croûtes (« sulfin »), poussières (croûtes) ; usure chimique et physique par dissolution et fracturation (fragmentation, exfoliation, cavitation…).

    La cathédrale Notre-Dame de Paris comprend plusieurs types de calcaire extraits et taillés ou sculptés aux XIIe et XIIIe siècles, mais aussi au XIXe siècle (l’association pierres médiévales/pierres neuves est souvent facteur d’altération accélérée). L’impact de l’incendie est un nouveau traumatisme par rubéfaction, éclatement thermique et évolution en chaux en surface de bloc.

     

    Références :

    Jacques PHILIPPON, Daniel JEANNETTE, et alii, La conservation de la pierre monumentale en France, CNRS, Paris, 1992

    ICOMOS-ISCS : Illustrated glossary on stone deterioration patterns ; Glossaire illustré sur les formes d’altération de la pierre, Monuments and sites XV, Champigny-sur-Marne, 2008.

    https://www.icomos.org/publications/monuments_and_sites/15/pdf/Monuments_and_Sites_15_ISCS_Glossary_Stone.pdf

     

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    Mise en ligne le 16 mai 2019

  • L’isotopie du plomb pour déterminer l’impact environnemental de l’incendie de Notre-Dame de Paris

    Sophie Ayrault, Edwige Pons-Branchu, Laurence Lestel

    Dans la nuit du 15 au 16 avril 2019, un incendie a détruit la majeure partie de la toiture de Notre-Dame de Paris. La flèche, couverte de feuilles de plomb a été la première à être gagnée par les flammes et est tombée dans la nef. L’incendie a ensuite gagné la toiture, couverte également de plomb (au total environ 200 tonnes selon les estimations les plus récentes). Les températures atteintes, 600 à 900°C, peut-être plus – cela reste à définir, ont conduit à l’aérosolisation (production de particules assez petites, les aérosols, pour être transportées par l’air) d’une partie de ce plomb sous forme d’oxyde de plomb, responsable de la couleur jaunâtre des fumées. Les poussières de ces fumées sont retombées au sol dans et autour de la cathédrale. Une autre partie du plomb se trouve encore dans la structure sous forme de « gouttes » ou de « flaques », tombées au sol ou accumulées sur les voûtes, et de débris de feuilles.

    Couverture de plomb de la cathédrale Notre-Dame de Paris et sa crête de faîtage, cliché Arnaud Timbert

    Couverture de plomb de la cathédrale Notre-Dame de Paris et sa crête de faîtage, cl. A. Timbert

    Le principe de la signature isotopique

    Les isotopes sont les différents atomes d’un même élément chimique. Ils ont tous les mêmes propriétés chimiques mais diffèrent légèrement par leur masse. L’analyse d’un échantillon par spectrométrie de masse permet d’identifier ces isotopes et de mesurer la concentration de chacun.

    Ces caractéristiques constituent la signature isotopique de l’élément chimique dans l’échantillon. Le plomb possède 38 isotopes connus. Quatre d’entre eux, 204Pb, 206Pb, 207Pb et 208Pb, sont stables (non radioactifs : ils ne se transforment pas avec le temps) et constituent le plomb naturel. Leur abondance relative dans la nature est respectivement de 1,5 %, 24,1 %, 22,1 % et 52,3 % (environ). Pour expliquer la variation des proportions des quatre isotopes, il faut rappeler qu’ils résultent de trois chaînes de désintégration radioactive : le 208Pb (majoritaire) est le produit de désintégration ultime, stable, du thorium 232 ; le 206Pb est celui de l'uranium 238, et le 207Pb est celui de l'uranium 235. Les quantités relatives des différents isotopes stables du plomb évoluent donc avec le temps, imprimant au minerai des rapports isotopiques caractéristiques de la mine. Ces rapports, aussi appelés « signatures », se conservent de la mine d’où est extrait le plomb jusqu’au matériau final, quel que soit le nombre d’opérations de fonte auquel il est soumis. Ainsi, la signature isotopique peut être utilisée pour identifier la période de première utilisation du plomb, moyennant une connaissance des routes commerciales du plomb à travers l’histoire (Alfonso et al., 2001 ; Ayrault et al., 2012 ; Monna et al., 2000). Celles-ci sont complexes, dès l’époque romaine, le plomb étant utilisé comme élément décoratif ou comme composante du bronze (Nriagu, 1983)

    L’analyse des isotopes du plomb des poussières produites par l’incendie permettra d’établir la signature de cet événement, de le suivre dans les contaminations extérieures au bâtiment et d’identifier de quelle partie de l’édifice proviennent les différents éléments tombés au sol ou encore présents dans la structure.

    Prélèvements de sols, de particules atmosphériques et de sédiments de rivière

    Prélèvements de sols, de particules atmosphériques et de sédiments de rivière

    Retracer l’histoire des pollutions au plomb  

    Les chercheurs du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) et du laboratoire METIS (Milieux environnementaux, transferts et interactions dans les hydrosystèmes et les sols) s’intéressent au cycle du plomb dans le bassin de la Seine depuis plus de dix ans. En particulier, ils ont caractérisé différentes signatures dans Paris et sa grande couronne. Une grande quantité de plomb est stockée dans l’infrastructure parisienne (canalisations, éléments d’étanchéité des toitures, balcons, peintures intérieures et extérieures …). Lors de la construction du Paris haussmannien au milieu du XIXe siècle, l’essentiel du plomb mis en œuvre hors recyclage a été importé de la mine la mine de Rio Tinto en Espagne.

    Il a été ainsi également démontré que le plomb des additifs aux essences utilisé au XXe siècle, qui a une signature spécifique, a été une source importante de contamination, alors même que la quantité de plomb utilisée pour cet usage a été relativement faible (5 % max) (PIREN-Seine ; Ayrault et al, 2012).

    Au long des siècles et au fil du recyclage, les différentes sources de plomb se sont amalgamées, formant ce que nous avons appelé le "plomb urbain" (Le Pape et al, 2013) dont nous retrouvons partout la signature (Ayrault et al, 2014). Des signatures typiques des plombs anthropiques se retrouvent pour au moins les derniers 300 ans comme montré par l’étude de dépôts calcaires souterrains parisiens (Pons-Branchu et al., 2015). Nous espérons trouver des enregistrements couvrant une plus grande période pour espérer identifier les différents apports historiques de plomb dans Paris sur plusieurs siècles, pouvant embrasser les rénovations du XIXe siècle, voire la construction de l’édifice (projet HUNIWERS).

    Analyser le plomb de Notre-Dame : enjeux et perspectives

    Le plomb qui constitue (ou constituait) les tables de la toiture de Notre-Dame et qui a partiellement été fondu et « aérosolisé » pendant l’incendie, a différentes origines car les éléments de la toiture ont été mis en place principalement à trois périodes très différentes : à la construction aux XIIe-XIIIe siècles, à la réfection commanditée par le cardinal de Noailles au début du XVIIIe siècle et lors de la restauration de Viollet-le-Duc au XIXe siècle. Les mines exploitées ont varié au cours du temps : le plomb a pu être extrait en France (mines de Melle par exemple pendant le Haut Moyen Âge). Les productions plus tardives proviennent généralement d’Espagne qui fournit environ 1 500 tonnes de minerai et 15 000 tonnes de plomb métal en moyenne chaque année à la France pour la période 1820-1848.

    Au cours des travaux de rénovation successifs, il est très probable que des tables anciennes médiévales aient été réemployées, le plomb se fondant aisément avec un brasero. Sur la base des signatures des rapports isotopiques, il pourrait être possible d’identifier les différentes périodes de fabrication des tables et de calculer la part de plomb réemployé, notamment dans les éléments du XIXe siècle couvrant la toiture et la flèche. A fortiori, on devrait pouvoir faire la distinction entre le plomb du Moyen Âge et celui du XIXe siècle.

    La signature de ce plomb, ou de ces plombs, n’a jamais été identifiée, contrairement à celle de la peinture anti-rouille de la Tour Eiffel, dont la contribution à la contamination des poussières locales a été mesurée (Nageotte et al, 1998). Il faut désormais identifier la source "NDdP" contribuant au flux de plomb parisien. Ce travail devait porter sur l’époque actuelle (à partir de l’analyse de ruissellements urbains, sédiments, particules atmosphériques, …) mais aussi sur des périodes plus anciennes, jusqu’à la construction de Notre-Dame, si des archives naturelles ayant enregistré ces informations peuvent être trouvées. L'incendie précipite la nécessité d'agir.

    Il faudrait pour cela être également capable d'identifier des objets en plomb réalisés par le même atelier et à peu près en même temps que les chantiers de Notre-Dame, pour des édifices qui n’ont pas brûlé, ou des objets encore intacts dans Notre-Dame, afin de les analyser. Tout cela impose des investigations de terrain.

     

    Références

    https://www.piren-seine.fr/

    http://huniwers.cnrs.fr/

    ALFONSO, S., GROUSSET, F., MASSÉ, L., TASTET, J.P., 2001. A European lead isotope signal recorded from 6000 to 300 years BP in coastal marshes (SW France). Atmos. Environ. 35, 3595–3605.

    AYRAULT S., ROY-BARMAN M., LE CLOAREC M.-F., PRIADI C., BONTÉ P., GÖPEL C. 2012. Lead contamination of the Seine River, France: geochemical implications of a historical perspective. Chemosphere 97, 902-910. 10.1016/j.chemosphere.2012.01.043

    AYRAULT S., LE PAPE P., EVRARD O., PRIADI C.R., QUANTIN C., BONTÉ P., ROY-BARMAN M. 2014. Remanence of lead pollution in an urban river system: a multi-scale temporal and spatial study in the Seine River basin, France. Environ. Res. Sci. Pollut. 21, 4134-4148. 10.1007/s11356-013-2240-6

    LE PAPE P., AYRAULT S., MICHELOT J.-L., MONVOISIN G., NORET A., QUANTIN C. 2013. Building an isotopic hydro-geochemical indicator of anthropogenic pressure on urban rivers. Chem. Geology 334, 63-72. 10.1016/j.chemgeo.2013.02.018

    LESTEL L. (2012) Non-ferrous metals (Pb, Cu, Zn) needs and city development: the Paris example (1815–2009). Reg Environ Change 12 (2):311-323.

    MONNA, F., CLAUER, N., TOULKERIDIS, T., LANCELOT, J.R., 2000. Influence of anthropogenic activity on the lead isotope signature of Thau Lake sediments (southern France): origin and temporal evolution. Appl. Geochem. 15, 1291–1305.

    NAGEOTTE, S., DAY, J.P., 1998. Lead concentrations and isotope ratios in street dust determined by electrothermal atomic absorption spectrometry and inductively coupled plasma mass spectrometry. Analyst 123, 59–62.

    NRIAGU J.O. Lead and Lead poisoning in the Antiquity, Wiley (1983)

    PONS-BRANCHU E, AYRAULT S, ROY-BARMAN M, BORDIER L, BORST W, BRANCHU P, DOUVILLE E, DUMONT E. (2015) - Three centuries of heavy metal pollution in Paris (France) recorded by urban speleothems. Science of the total environment, 15, pp 86–96

     

     

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    Mise en ligne le 2 octobre 2019