Scientifiques de Notre-Dame
Le transept de Notre-Dame et ses roses rayonnantes
1. L’allongement des bras du transept
Yves Gallet et Markus Schlicht
Les roses de Notre-Dame et l’Europe – transmission et transformations
Marc Carel Schurr et Daniel Parello
Les vitraux de Notre-Dame : un ensemble composite
Caroline Blondeau-Morizot
Sophie Lagabrielle
Le transept et ses roses rayonnantes
1. L’allongement des bras du transept
Aux alentours du milieu du XIIIe siècle, la physionomie de Notre-Dame telle qu’elle avait été conçue dans les années 1160 avait significativement évolué. Le corps de la cathédrale était entièrement sorti de terre, mais à partir des années 1220, des travaux de transformation avaient été entrepris dans la nef : amélioration de l’éclairage du vaisseau central par l’allongement des fenêtres hautes, reprise des tribunes et du système de contrebutement, adjonction de chapelles latérales entre les contreforts des bas-côtés. La création de ces dernières, qui élargissaient au sol l’emprise de la nef, menaçait de faire apparaître les façades nord et sud du transept en retrait de l’alignement du mur des bas-côtés : c’est la raison que les historiens de Notre-Dame ont avancée pour expliquer la décision qui fut prise alors d’ajouter une travée, donc une nouvelle façade, à chacun des bras du transept. On ne peut exclure d’autres facteurs : recherche de prestige de la part du clergé (les chanoines accédaient à la cathédrale par le portail du bras nord, l’évêque par celui du bras sud), concurrence avec la Sainte-Chapelle dans le paysage urbain, rivalité avec l’abbatiale de Saint-Denis, où les façades du transept avaient été édifiées peu de temps auparavant. Avec leur composition tripartite – portail, triforium ajouré, grande rose rayonnante –, les façades de Notre-Dame prennent en effet modèle sur celles de Saint-Denis. On peut supposer que l’architecte de la cathédrale eut pour consigne de surpasser les façades de la grande abbaye royale, éternelle rivale de la cathédrale. Sans doute pour la première fois dans l’architecture gothique, il conçut une façade, qui, au lieu de simplement superposer les niveaux, les fusionne tous en un tableau unique. La composition brillante qu’il élabora, impensable sans un recours généralisé au nouveau medium qu’était alors le dessin architectural, constitua aussitôt une référence incontournable pour l’architecture gothique à l’échelle européenne.
Les travaux, menés dans les décennies 1250 et 1260, correspondent à la période d’activité documentée de Jean de Chelles puis de Pierre de Montreuil. Il faut y ajouter par la pensée la première flèche de Notre-Dame, peut-être dessinée elle aussi par l’un ou l’autre de ces deux architectes.
Les façades sont conçues l’une et l’autre sur le même schéma tripartite : un portail, étendu visuellement à l’ensemble de la partie inférieure par une série de gâbles élancés ; au niveau intermédiaire, un triforium vitré, caractéristique du style gothique rayonnant ; une vaste rose qui occupe toute la largeur de la travée. L’ensemble est surmonté d’un pignon triangulaire, agrémenté d’un décor de polylobes refaits par Viollet-le-Duc dans un style plus chargé que l’original, et d’une petite rose ajourée destinée à l’aération des combles de la charpente. Ce sont ces deux pignons qui ont le plus directement souffert de l’incendie du 15 avril 2019.
Mise en ligne le 11 mai 2019
Le transept de Notre-Dame et ses roses rayonnantes
2. La rose nord
En raison de ses caractères stylistiques, la rose du bras nord est considérée comme antérieure à celle du bras sud. Dans l’état actuel des connaissances sur la succession des architectes de la cathédrale, elle est attribuée à Jean de Chelles et à la décennie 1250. Elle a été refaite à l’identique par Viollet-le-Duc en 1862-1865.
D’un diamètre de 12,9 m, elle compte parmi les plus vastes roses de son temps (la rose sud de Saint-Denis, vers 1245, ne fait « que » 12,2 m de diamètre), même si nous manquons souvent de mesures fiables pour les roses gothiques. Elle est par ailleurs d’une membrure très légère, surtout si on la compare aux roses antérieures de dimensions équivalentes, comme la rose ouest de Chartres. Elle se compose de seize grands pétales qui s’épanouissent du centre vers la périphérie, et qui sont subdivisés de manière à former une double corolle : seize pétales simples rayonnent depuis l’octolobe central, avant de se subdiviser chacun en deux. Au pourtour, seize trilobes meublent les interstices des têtes des lancettes. Ces subdivisions sont liées à l’iconographie vétéro-testamentaire de la rose (16 prophètes dans les médaillons de la première corolle, 32 rois et prophètes dans ceux de la deuxième, 32 grands prêtres du peuple hébreu au pourtour). La modénature est fermement hiérarchisée : meneaux principaux des pétales, meneaux secondaires des pétales de la corolle externe, tête trilobée des lancettes. La rose se découpe dans un cadre carré, les écoinçons inférieurs sont vitrés et meublés de polylobes.
Mise en ligne le 11 mai 2019
Le transept de Notre-Dame et ses roses rayonnantes
3. La rose sud
Dans son organisation générale, la rose sud est construite sur le modèle de la rose nord. Le dessin est modifié à la périphérie, où les pétales, plus courts, s’amortissent entre des trilobes pointés vers le centre et inscrits dans des triangles curvilignes. Ne comportant que douze pétales, en raison de son iconographie liée au Nouveau Testament (12 apôtres autour du Christ qui se trouvait dans le polylobe central, 24 confesseurs, 12 saintes martyres, et les douze vierges sages accompagnées des vierges folles de la parabole), la rose est aussi d’une structure plus légère. Elle est plus difficile à étudier, car après avoir été refaite une première fois en 1725-1727, elle a été entièrement reconstruite, et modifiée, par Viollet-le-Duc (voir figure ci-dessus). Une iconographie assez fournie permet de connaître l’état antérieur à la restauration : Viollet-le-Duc a fait pivoter la rose de manière à placer un meneau dans l’axe vertical, il en a épaissi la modénature, il a remplacé par des formes rondes toutes les élégantes formes pointues si caractéristiques du style rayonnant des années 1260, qui n’ont subsisté qu’au revers du portail et sur les murs du transept. La restauration programmée pourrait d’ailleurs être l’occasion de repenser le tambour des portes du transept, de manière à rendre visible le revers du mur si soigneusement travaillé par Pierre de Montreuil, tout comme l’avait fait Jean de Chelles côté nord.
Mise en ligne le 11 mai 2019
Le transept de Notre-Dame et ses roses rayonnantes
4. Perspectives d'études
Les roses du transept de Notre-Dame – deux des plus belles pages de l’architecture rayonnante dans la France du XIIIe siècle – se signalent l’une et l’autre par la sûreté et l’élégance de leur dessin. Paradoxalement, elles n’ont jamais fait l’objet d’une étude approfondie. Il y aurait pourtant beaucoup à apprendre sur la géométrie de leur structure, sur leurs techniques de construction, sur la découpe des blocs et leur mise en œuvre, sur les modèles dont elles s’inspirent (la rose nord de Saint-Denis, la première rose de la Sainte-Chapelle) ou encore sur leur retentissement en France et en Europe, c’est-à-dire sur leur place dans l’histoire de l’architecture gothique. Plusieurs roses, par exemple à Reims, Poitiers ou Limoges, à Saint-Germer-de-Fly ou sur la châsse de Sainte-Gertrude de Nivelles, montrent un dessin proche de celui de la rose de Jean de Chelles, à moins qu’il ne s’agisse de copies de la première rose de la Sainte-Chapelle. La rose du bras sud, pour sa part, a été copiée plus d’une quinzaine de fois à travers toute l’Europe, depuis Santarém (Portugal) jusqu’à Vienne (Autriche), et depuis Uppsala (Suède) jusqu’à Orvieto (Italie) et Palma de Mallorca. Ce succès, qu’aucune autre rose n’a jamais égalé, atteste de la renommée hors pair de l’œuvre de Pierre de Montreuil.
Orientation bibliographique :
Marcel Aubert, La cathédrale Notre-Dame de Paris. Notice historique et archéologique, Paris, 1909, p. 11-13, 72-74
Dieter Kimpel, Die Querhausarme von Notre-Dame zu Paris und ihre Skulpturen, Bonn, 1971.
Dieter Kimpel et Robert Suckale, L’architecture gothique en France 1130-1270, Flammarion, Paris, 1990, p. 410-421
Alain Erlande-Brandenburg, Notre-Dame de Paris, Nathan-CNMHS, Paris, 1991, p. 147-167
Markus Schlicht, « La rose médiévale de la cathédrale de Poitiers et les roses gothiques du XIIIe siècle en France », in : Arch-I-Tech 2010, Actes du colloque Cluny (France), 17-19 novembre 2010, Bordeaux, 2011, p. 193-202
Dany Sandron, « Les nouvelles façades du transept (vers 1245-1270) », dans Mgr André Vingt-Trois (dir.), Notre-Dame de Paris, Editions La Nuée Bleue (La grâce d’une cathédrale), Strasbourg, 2012, p. 95-100.
Mise en ligne le 11 mai 2019
Avec un diamètre de presque 13 mètres, les roses du transept de Notre-Dame surpassèrent de loin toutes les créations similaires antérieures. Des merveilles d’architecture en filigrane, rayonnantes de couleurs et de lumière, ces roses placées dans un cadre carré devinrent rapidement un élément incontournable de tout projet architectural ambitieux en France mais aussi dans le Saint-Empire.
L’un des exemples les plus beaux dans l’espace germanique est la rose dans la façade occidentale de l‘ancienne abbatiale cistercienne d’Ebrach. Cette rose à 20 rayons fut créée avant 1285 et reprend le modèle parisien dans la disposition architecturale ainsi que dans le concept iconographique des vitraux, qui associait des figures de saints à une ornementation multicolore. Peu après, la grande rose dans la façade de la cathédrale de Strasbourg (voir figure ci-dessus) suit de nouveau le modèle de Notre-Dame de Paris tout en renonçant à un programme figuré. Ses vitraux ne sont plus composés que de motifs ornementaux. En revanche, la construction architecturale est devenue encore plus complexe, poussant à l’extrême l’idéal d’une structure en filigrane qui impressionne par la finesse et la richesse en variation de ses détails. Comme un peu plus tard à Fribourg-en-Brisgau, où la rose strasbourgeoise a inspiré les rosaces dans le mur occidental des bas-côtés de la cathédrale, le goût pour l’invention architecturale s’est imposé au frais de l’imagerie dans les vitraux, qui avant étaient le porteur d’une signification religieuse complexe. Ainsi, l’impulsion des idées des architectes parisiens transforma durablement le paysage architectural européen.
Références :
Marcel Aubert , Louis Grodecki , Jean Lafond, Les Vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris, Corpus vitrearum medii aevi, France : 1.1, Paris, 1959.
Robert Suckale, « Thesen zum Bedeutungswandel der gotischen Fensterrose », in Karl Clausberg, Dieter Kimpel, Hans-Joachim Kunst, Robert Suckale (dir.), Bauwerk und Bildwerk im Hochmittelalter, Giessen, 1981, p. 259–294.
Mise en ligne le 11 mai 2019
Après l'achèvement de sa nef et de sa façade occidentale au milieu du XIIIe siècle, la cathédrale a connu de nombreuses transformations qui ont, très rapidement, donné lieu à de nouvelles campagnes de vitrerie. Aujourd’hui, ne subsistent du XIIIe siècle que les trois roses situées en façade occidentale et aux bras du transept. Nous connaissons quelques fragments du programme vitré installé au cours des siècles grâce notamment à Pierre Le Vieil, peintre verrier de la cathédrale qui fut chargé, pendant une trentaine d’années, d’en déposer les derniers vitraux médiévaux. Son témoignage manque parfois de fiabilité chronologique, mais il n’en reste pas moins précieux pour appréhender l’état de la vitrerie de Notre-Dame au XVIIIe siècle, complété par d’autres descriptions. Ainsi, Notre-Dame était ornée d’une « vision triomphale de la Vierge » offerte par Suger pour l’ancien édifice, ou encore d’une verrière dédiée à saint Jean-Baptiste offerte par Philippe Le Bel et Jeanne de Navarre à la fin du XIIIe siècle. C’est surtout au XIVe siècle que le vitrage connaît de radicales transformations, notamment dans le chœur où Pierre Le Vieil voit une série d’évêques en grisaille et jaune d’argent, tandis que les fenêtres hautes du chœur et celles des chapelles construites à cette époque sont également remplacées. Cet ensemble du XIVe siècle est agrémenté de donations ponctuelles aux siècles suivants, mais reste toutefois un jalon majeur dans l’histoire du vitrage de Notre-Dame. La destruction de cette vitrerie médiévale au XVIIIe siècle s’explique par plusieurs facteurs : de nouveaux aménagements architecturaux ou mobiliers, l’état lacunaire de certains de ces vitraux et le changement d’esthétique, afin « d’éclairer » l’édifice. Pierre Le Vieil dépose ces vestiges et insère une vitrerie quasi incolore, aux discrètes touches de couleurs (voir figure ci-dessous).
Au XIXe siècle, le chantier de restauration supervisé par Eugène Viollet-le-Duc substitue au travail de Pierre Le Vieil des créations contemporaines, dans un style archéologique. Les verrières actuelles des fenêtres hautes de la nef ont remplacé les grisailles du XIXe siècle : réalisées par Jacques Le Chevallier dans les années 1960, elles sont l’aboutissement de la querelle des vitraux visant à installer à Notre-Dame des œuvres contemporaines, réalisées par les membres du renouveau de l’art sacré dans l’entre-deux guerres. Certains de ces vitraux, installés brièvement dans les baies de Notre-Dame et déposés après la guerre, étaient encore en caisse dans la cathédrale.
Orientation bibliographique :
Pierre Le Vieil, L’art de la peinture sur verre et de la vitrerie, Paris, 1774 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1075062r/f1.item.r=Pierre%20Le%20Vieil ).
Marcel Aubert, Louis Grodecki, Jean Lafond, Jean Verrier, Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris, Paris, 1959, p. 13-54.
Catherine Brisac, Louis Grodecki, Jacques Le Chevallier, Les vitraux de Notre-Dame de Paris, Paris, 1981.
Annie Auzas, Odile Pinard, « Les verrières modernes », Notre-Dame de Paris, Strasbourg, 2012, p. 293-299.
Mise en ligne le 29 avril 2019
Datée des années 1220-1230, la rose ouest est la plus ancienne et la plus petite des trois roses de Notre-Dame de Paris (Diam. 9,60 m). Son antériorité par rapport aux deux autres explique qu’elle intègre moins de « vide » que ces dernières, qu’elle s’ouvre dans un mur plein dépourvu d’écoinçons de verre aux angles et de galerie vitrée à la base. Formellement, elle tend vers les formes équilibrées de l’art rayonnant que ne proposent pas encore les roses plus murales de Chartres (ouest et nord) ou de Laon et n’atteignent pas plus la rose sud de Chartres, celles de Lausanne ou de Mantes.
Parcourue de 12 rayons, la rose se développe en trois grands cercles concentriques figuratifs : le plus petit se compose de 12 quadrilobes, le cercle médian reçoit 24 petits médaillons, tandis que le troisième, plus large, accueille 24 quadrilobes, le tout à dominante bleue et rouge. Plusieurs médaillons ont été repris aux XVIe et XVIIIe siècles (1731) et découverts en grand désordre vers 1855 ; les interventions de restauration dues à Louis Charles Auguste Steinheil (1814-1885), peintre-cartonnier, et à Alfred Gérente (1821-1868), peintre-verrier, auraient pu être plus importantes encore si elles n’avaient pas été gênées par la présence de l’orgue.
Dans son acceptation la plus littérale, l’iconographie s’organise autour d’une Vierge à l’Enfant (XIXe siècle) qui occupe la petite rose polylobée centrale, entourée des Prophètes, en position assise (quadrilobes intérieurs), des signes du zodiaque et travaux des mois (médaillons médians), enfin des Vices et Vertus (quadrilobes extérieurs). De tendance encyclopédique, elle puise au Miroir de la Nature (zodiaque et mois de l’année) et au Miroir moral (Vices et Vertus), reflet du contexte théologique des XIIe et XIIIe siècles. C’est cette thématique qu’il serait désormais intéressant d’étudier de façon plus approfondie.
Bibliographie complémentaire :
Marcel Aubert, Louis Grodecki, Jean Lafond, Jean Verrier, Les vitraux de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle de Paris, Monographie I.1, CNRS éditions, Paris, 1959.
Painton Cowen, Roses médiévales, Paris, Le Seuil, 1979
Mise en ligne le 24 juin 2019
Qui sommes-nous ?
Ressources
Contactez-Nous
Scientifiques de Notre-Dame = ISSN 2677-8653 ; Paris, France © 2019